
Le Tombeau des lucioles (1988) – Réalisation : Isao Takahata.
Hier soir, avec mes enfants âgés respectivement de dix et sept ans, nous avons regardé Le Tombeau des lucioles, chef-d’œuvre animé réalisé par Isao Takahata en 1988. Adapté d’une nouvelle semi-autobiographique d’Akiyuki Nosaka, ce film se tapisse d’une réflexion déchirante sur la guerre, ses ravages silencieux et durables, ainsi que sur la vulnérabilité des civils pris dans le chaos des bombardements. La précision historique et la justesse émotionnelle du récit rendent parfaitement compte du quotidien d’une population japonaise à bout de souffle, confrontée au rationnement sévère, à l’effondrement de toutes les infrastructures sociales et à un sentiment d’abandon généralisé. Le film s’ouvre sur la vision cauchemardesque des bombardiers américains incendiant Kobe. Une violence méthodique, qui ne laisse aucune chance aux communautés locales, et qui rappelle tragiquement, toute proportion gardée, les images contemporaines de villes ukrainiennes telles que Marioupol ou Bakhmout, dévastées par une guerre qui refuse obstinément de dire son nom. Cette analogie, discutée dans notre cadre familial, permet de saisir pleinement le message universel que le film nous adresse : la guerre demeure, à travers les âges et les continents, un fléau impitoyable qui frappe toujours les plus faibles avec une cruauté immuable. À une autre époque, Apocalypse Now en avait fait une démonstration implacable.
Au-delà de sa portée historique et politique, Le Tombeau des lucioles raconte une histoire profondément intime, celle du lien indéfectible entre Seita et Setsuko, un frère et une sœur tristement abandonnés à leur sort. Après la perte brutale de leur mère, morte brûlée après le raid aérien inaugural, les deux enfants doivent composer avec l’hostilité croissante d’une tante accablée par la pénurie et un égoïsme de survie. Confronté à une famille élargie devenue insensible, Seita, âgé seulement de quatorze ans, endosse avec gravité un rôle précoce de père de substitution. Il protège coûte que coûte sa sœur cadette, Setsuko, âgée de quatre ans, dans une forme de sacrifice fraternel absolu. Vivant dans un abri antiaérien désaffecté, isolés et marginalisés, les deux enfants expérimentent la fragilité extrême de la vie lorsque disparaît tout soutien social. Leur quotidien se partage entre chapardages risqués chez les paysans voisins, rationnements sévères et petits moments d’évasion enfantine. Ces derniers symbolisent à merveille l’extraordinaire capacité de l’amour familial à résister à l’adversité même la plus féroce. À un monde extérieur défaillant et hostile, les enfants répondent par la solidarité et l’abnégation.
Évidemment, l’émotion finit par l’emporter. À travers le destin dramatique de Setsuko, lentement consumée par l’anémie et la malnutrition dans une société devenue indifférente. Une tragédie qui a arraché quelques larmes au plus jeune de mes fils. Ce film a surtout conduit à questionner l’injustice, la cruauté ordinaire, la perte des repères (familiaux, moraux), ainsi que notre devoir collectif d’empathie et de solidarité envers ceux qui souffrent. La douleur dépeinte à l’écran se caractérise par une authenticité troublante. Le Tombeau des lucioles oppose à la fragilité de l’existence une violence systémique, qui débute par la guerre et se prolonge ensuite dans les lâchetés individuelles. Le film d’Isao Takahata, réussi en tous points, s’appréhende ainsi comme un outil pédagogique aussi dense que nécessaire. Il m’a permis d’aborder avec mes enfants des sujets graves et complexes, qui engagent les sentiments personnels, les faits géopolitiques, le devoir moral ou encore la responsabilité sociale.
J.F.

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