L’horreur biomécanique au cinéma : le xénomorphe d’Alien

Aussi fascinantes que terrifiantes, les créatures de la saga Alien suscitent une peur profonde et ancestrale. De leur cycle de vie complexe à leur rôle en tant qu’allégorie de l’altérité, les xénomorphes restent des icônes incontestées du septième art, d’une perfection cauchemardesque.

Dans notre article consacré aux méchants les plus iconiques du septième art, nous écrivions ceci : « Le xénomorphe transcende la notion même d’antagoniste, en incarnant la terreur ancestrale face à l’inconnu. Sa conception biomécanique, œuvre de H.R. Giger, fusionne les éléments organiques et artificiels pour mieux rendre compte d’une altérité dérangeante. La cruauté de l’alien est animale, instinctive, prédatrice. Avec sa double mâchoire, sa longue queue mortelle, son sang acidifié et son crâne allongé, la créature est glaçante, et iconique à souhait. Chaque apparition du xénomorphe, souvent dans des espaces exigus et sombres, plonge les protagonistes et le public dans une angoisse viscérale, rendant d’autant plus tangible la lutte pour la survie. »

Ces créatures extraterrestres émanent de l’imaginaire fertile du plasticien suisse Hans Ruedi Giger et se hissent sans discussion possible au zénith d’un bestiaire cinématographique pourtant bien fourni, notamment grâce à une esthétique singulière et une faculté rare à porter la terreur. Mais la fascination qu’elles exercent sur les spectateurs et les admirateurs de la saga initiée par Ridley Scott en 1979 excède de loin ces seuls aspects, comme peut par exemple en témoigner l’essai L’Art et la science dans Alien, paru en 2019 aux éditions La Ville Brûle. Les auteurs, scientifiques chevronnés, y décryptent dans le détail tout ce qui contribue à faire la richesse du xénomorphe, dans ses déplacements, ses modes de reproduction, ses techniques de chasse ou encore ses dimensions physiologiques ou artistiques.

Il est vrai que le cycle de vie et la conception biologique de l’alien ont quelque chose de fascinant. Ces entités touchent au paroxysme de l’horreur organique. Elles évoluent selon une succession de phases qui exacerbent le suspense et la terreur inhérents à leur apparition. Le prologue de cette macabre symphonie débute par l’œuf, une structure qui, tel un lotus funeste, libère le Facehugger, un arachnoïde recourant à une étreinte mortelle sur sa proie pour une insémination forcée et ô combien effroyable. S’ensuit le Chestburster, semblable à un serpent, qui émerge de son hôte dans un crescendo de barbarie. Ainsi, dans le premier opus de la saga, la poitrine de l’officier Kane se déforme, provoquant des douleurs atroces, avant d’être violemment transpercée par le parasite infecteur.  

L’alien adulte présente une tête cylindrique, une langue équipée d’une gueule secondaire mortifère, une longue queue utile à l’attaque et à l’équilibre, un corps élancé traversé de tuyaux organiques et un sang d’une corrosivité comparable à celle de l’acide. Sa faculté d’adaptation et de conquête trouve son apogée en la figure de la Reine, une entité impitoyable régnant sur une société structurée, évoquant à certains égards les castes des insectes sociaux, et notamment des fourmis. Le cycle de vie des xénomorphes, axé sur la reproduction et l’anéantissement de toute autre espèce, est l’écho d’une brutalité primitive, impensée, d’une soif de domination dépourvue de toute morale. Ces créatures ne chassent pas pour se nourrir mais pour se perpétuer. Leur ordre social tient de la loi darwinienne, où le sacrifice individuel est subordonné à la pérennité de l’espèce.

Tous les films de la saga montrent les mêmes mécanismes à l’œuvre. Le comportement du xénomorphe mêle « ruse » et instinct primal, ce qui le rend d’autant plus redoutable. Il exploite son environnement pour parvenir à ses fins, n’hésitant pas, par exemple, à sacrifier un pair pour trouver une porte de sortie. Dans le quatrième opus de la série, réalisé par Jean-Pierre Jeunet, le sang acidifié d’un alien mis à mort par les siens permet de faire fondre le sol de la cellule dans laquelle sont enfermées deux autres créatures.

Les xénomorphes ont influencé pléthore de monstres de la culture populaire, des Zergs de StarCraft aux Tyranides de Warhammer 40000 en passant par les Crabes de tête de Half-Life. témoignant ainsi de leur empreinte indélébile sur l’imaginaire collectif. Même Marvel semble s’en être inspiré : les Brood de X-Men, apparus pour la première fois en 1982, ne sont clairement pas sans liens avec la créature imaginée par Hans Ruedi Giger, Dan O’Bannon et Ridley Scott. 

Les xénomorphes incarnent une terreur profonde, constituent une allégorie de l’altérité et de l’inconnu et nous confrontent à nos angoisses et préjugés les plus enfouis. Multicellulaire, eucaryote et hétérotrophe, doté d’une bave dégoulinante lui permettant peut-être d’ingurgiter plus facilement ses victimes, l’alien possède un cycle de reproduction de type R et semble partiellement compatible avec les humains d’un point de vue génétique, si l’on en croit l’exemple de l’hybride Newborn. Il repère aisément ses proies, même dans l’obscurité, et peut se fondre, à l’image de la Chose de John Carpenter (1982), insidieusement en n’importe quel être vivant. Votre voisin de table peut très bien porter en son sein un Chestburster prêt à jaillir à tout moment. 

Ne s’agirait-il pas du parfait tueur, d’une efficacité redoutable et d’une pureté absolue ? 

L.B.


Posted

in

by

Comments

6 réponses à « L’horreur biomécanique au cinéma : le xénomorphe d’Alien »

  1. Avatar de Trash Art Museum : une réinterprétation artistique des déchets – RadiKult'

    […] des figures emblématiques du cinéma et de la science-fiction. Les Tortues Ninja, Terminator, Alien, Les Transformers, Jurassic Park, Star Wars ou encore Game of Thrones ne sont que quelques-unes des […]

    J’aime

  2. Avatar de Les zombies au cinéma : un miroir de la société ? – RadiKult'

    […] qui a la particularité d’avoir été réalisé par Dan O’Bannon (le scénariste d’Alien), l’invasion est ainsi le résultat de l’échappement d’un gaz provenant d’un container […]

    J’aime

  3. Avatar de Lieux cultes du cinéma et des séries : quand le cadre fait sens et effet – RadiKult'

    […] célèbre les effets spéciaux, permettant la naissance d’univers extraordinaires comme ceux d’Alien ou du Seigneur des […]

    J’aime

  4. Avatar de Ellen Ripley, au cœur de la culture populaire  – RadiKult'

    […] de la saga Alien. Figure féminine iconique et complexe, elle caractérise, autant que le xénomorphe, une quadrilogie – bientôt augmentée d’œuvres dérivées – ayant fait […]

    J’aime

  5. Avatar de Traqué dans l’espace, pour son humanité – RadiKult'

    […] ses songes. Ils convoquent le gratin de la culture pop : un peu de Kubrick, quelque chose d’Alien, un nappage de La Planète des singes… Traqué dans l’espace, c’est l’histoire […]

    J’aime

  6. Avatar de Alien, un frisson venu d’ailleurs – RadiKult'

    […] les mutations de la créature, il y a donc l’extirpation du parasite depuis le corps de son hôte. Cette scène […]

    J’aime

Répondre à Trash Art Museum : une réinterprétation artistique des déchets – RadiKult' Annuler la réponse.