
Dans les rangs désordonnés des grands méchants du cinéma, un visage mi-ange mi-démon se détache : celui de Norman Bates, le personnage central de Psychose, chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock sorti en 1960. Ce gérant de motel doux et maladroit, dominé par sa mère abusive, est devenu, presque instantanément, un ambassadeur de la peur et de la folie au cinéma. Mais comment Hitchcock et son scénariste, Joseph Stefano, ont-ils créé ce « méchant parfait » ? Comment ont-ils représenté la psychopathologie de Norman Bates ?
Comme toute pièce, Norman Bates a son revers. Propriétaire de motel et taxidermiste, sa vie en apparence banale cache une véritable tempête identitaire et psychologique. Le personnage d’Alfred Hitchcock est le résultat d’une enfance traumatisante, d’une dualité intérieure et d’une déconnexion avec la réalité qui l’amènent à commettre des actes terrifiants, que sa façade avenante, non sans pudeur, ne laisse aucunement présager.
La psychopathologie de Norman Bates prend racine dans une relation toxique avec sa mère, présentée comme un personnage castrateur et omniprésent, qui contribue à la formation de la personnalité dissociative de son fils. Derrière leur relation se cachent une profonde dépendance émotionnelle et le contrôle permanent qu’elle exerce sur lui, même après la mort.
Norman souffre d’un trouble dissociatif de l’identité, oscillant entre deux personnalités. Il agit parfois de manière « autonome », en tant que lui-même, mais sa mère peut à tout moment prendre le dessus et affirmer son autorité en le manipulant comme un pantin. Cette dualité se traduit par un comportement tantôt doux et attentionné, tantôt violent et meurtrier. Lorsqu’il incarne sa mère, Norman perd tout souvenir de ses actes ; il agit sans raison apparente, par pulsions, en déconnexion totale avec sa personne.
L’artisanat du mal
Le comportement affable et le métier de gérant de motel de Norman Bates cachent un penchant impensé pour la violence et une fixation œdipienne sur sa mère décédée. Alfred Hitchcock utilise ces éléments pour créer une tension palpable entre l’apparence ordinaire de Norman et ses actions sordides. Le point culminant en sera la révélation de la véritable nature de sa mère : elle n’est autre qu’un cadavre en décomposition conservé dans un sous-sol.
Anthony Perkins incarne à la perfection la dualité de Norman Bates, tueur en série qui se cache derrière une banalité insoupçonnable. Cette normalité déconcertante, artificielle, a eu un impact majeur sur le cinéma d’horreur, où l’on a souvent parasité le commun par le moyen d’un mal rampant, qui s’insinue de manière insidieuse. En forçant un peu les traits, on retrouve un principe similaire dans le cinéma de John Carpenter, dans des films tels que The Thing (1982), Le Village des damnés (1995) ou même Christine (1983). Et c’était déjà le parti pris de Don Siegel en 1956 avec L’Invasion des profanateurs de sépultures. Un individu peut en cacher un autre, moins quelconque, plus hostile.
Étude du milieu
Les années 1960, époque de la sortie de Psychose, étaient marquées par des normes de genre et des prescriptions sociales strictes. Norman Bates, élevé par une mère dominante et possessive, se trouve en conflit avec ces attentes sociétales. Par peur de perdre le contrôle sur lui, sa mère le dénigre et le castre émotionnellement, le poussant à intérioriser une identité féminine prédominante. Ces pressions liées au contexte de vie exacerbent certainement son trouble dissociatif de l’identité et alimentent son comportement violent.
Par ailleurs, Norman Bates vit isolé de la société, au sein d’un motel peu fréquenté, situé en dehors de la ville. Ce manque d’interaction l’empêche de développer des compétences sociales normales, renforçant ainsi son comportement étrange, en décalage, et sa déconnexion vis-à-vis de la réalité. Cet isolement lui offre également la possibilité de cacher plus facilement ses actes criminels et sa double identité.
D’autant plus qu’à l’époque de Psychose, la maladie mentale était encore largement incomprise et stigmatisée. Souffrant de troubles graves de l’identité, qu’aurait pu faire Norman si ce n’est refouler ses symptômes et aggraver ainsi sa condition ? Le manque de sensibilisation et d’acceptation des maladies mentales empêche le méchant d’Alfred Hitchcock de chercher de l’aide et encourage une spirale de violence et de folie dans laquelle il s’enfonce irrémédiablement.
Enfin, la relation œdipienne entre Norman et sa mère demeure l’un des éléments-clés de la psychopathologie de Bates. À cette époque, ces sujets restaient tabous et sans réelle possibilité de discussion ouverte. On peut imaginer sans mal la honte et la culpabilité croissantes de Norman, propres à annihiler tout effort de démystification et de reprise en main. Pour mettre fin à son épopée sanguinaire, le taxidermiste (activité par ailleurs très signifiante) aurait dû admettre la responsabilité de ses crimes, ses vulnérabilités, ses incapacités et se tourner vers des institutions (médicales, judiciaires…) qui n’étaient encore pas prêtes à l’entendre – ou à tout le moins à le comprendre.
Ce contexte social influence évidemment l’évolution de Norman Bates. Les pressions sociétales, l’isolement, la stigmatisation de la maladie mentale et le tabou œdipien ont tous contribué à alimenter le cercle de perdition, sociale et identitaire, qui caractérise le personnage d’Alfred Hitchcock.
L.B.

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