La Honte : les braises sauvages

La Honte (1968) – Réalisation : Ingmar Bergman.

Le couple a toujours été un sujet de prédilection pour Bergman, sujet qui a pris une place de plus en plus importante au fil de son œuvre. La Honte articule cette thématique avec une autre, qui serait son miroir grossissant et cauchemardesque, la guerre. 

Un couple (Max von Sydow, comme souvent dans un rôle ingrat, et Liv Ullmann, plus belle que jamais) sur son île pense pouvoir vivre à l’abri du conflit. Si celui-ci s’invite très vite sur leur terre, les séquences inaugurales laissent clairement entrevoir que le verre logeait déjà dans le fruit… Désaccords, désirs inassouvis de maternité pour elle, lâcheté endémique pour lui : ils ont beau être musiciens, la dissonance les étreint bien avant qu’on n’entende le fracas des bombes et des avions. 

Rien ne sera épargné dans cet étrange récit en forme de dérive : Bergman, assez sadique, multiplie les mises à l’épreuve dans lesquelles le pire aura l’occasion de se révéler. Dans L’Heure du loup, tourné la même année, c’est une sorte de fantastique d’épouvante qui déstabilisait les protagonistes ; ici, c’est davantage l’absurde qui les dévore. Cette guerre sans nom voit ainsi défiler des belligérants dont on ne comprend pas les motivations, faire d’une arrestation filmée du couple par un camp la preuve pour l’autre qu’ils sont des collaborateurs, dans un jeu de va-et-vient parfaitement aliénant. 

Le pessimisme de Bergman s’offre ici d’amples moyens d’expression. À l’exception des fastes du futur Fanny & Alexandre, on ne retrouvera jamais une telle débauche d’effets : bombardements, attaques, mouvements de foule, scènes de pillages, rien ne manque au terrible tableau du chaos. Mais, on le comprend vite, l’aventure ne donnera jamais la possibilité au meilleur de surgir : alors que le pays se déchire, le couple en fait autant, de ballottages en compromissions, de négociations en tentatives de survie. L’argent, les alliances, les trahisons, la fuite. Le cinéaste l’affirme de façon souvent appuyée, faire le portrait de l’être humain ne peut être qu’à charge. 

C’est là une des limites du film : la rage du regard porté sur les personnages et leur entourage. Alors qu’on sait Bergman capable d’une grande empathie, qui ira d’ailleurs croissante au fur et à mesure de ses films, La Honte prend un malin plaisir à enchaîner les désillusions et la barbarie. 

C’est un entreprise de destruction, qui contamine jusqu’au récit lui-même, inachevé, dans une barque à la dérive fendant péniblement une surface encombrée de cadavres.

Fiche produit Amazon

Éric Schwald


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2 réponses à « La Honte : les braises sauvages »

  1. Avatar de Une passion : l’île noire – RadiKult'

    […] liens sont très nombreux entre Une passion et La Honte : Bergman n’en finit pas de ressasser les mêmes thèmes, dans une logique obsessionnelle qui […]

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  2. Avatar de Cris et chuchotements : mauve et sang – RadiKult'

    […] dans les films précédents. Aux cauchemars de L’Heure du loup ou la guerre sans nom de La Honte, il substitue des corps en souffrance : celui de l’agonisante, celui d’une épouse qui se […]

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