The Substance : influences à foison, pertinence à cloisons

Après un premier long métrage prometteur intitulé Revenge, Coralie Fargeat revient sur le devant de la scène avec un projet bien plus ambitieux : The Substance, un film qui se veut à la croisée des chemins entre l’horreur viscérale et l’allégorie sociale. Mais si les intentions semblent élevées, le résultat final apparaît comme un grand vide déguisé en déluge sensoriel. Malgré une maestria technique indéniable et une générosité visuelle rare, The Substance multiplie les références jusqu’à saturation, sans jamais parvenir à leur insuffler… une substance propre.

The Substance semble afficher ses influences comme des trophées. De La Mouche de Cronenberg à The Thing de Carpenter, en passant par Carrie ou Shining, le film convoque le panthéon du cinéma de genre avec une frénésie presque scolaire. De nombreux plans semblent ainsi conçus comme une carte postale adressée à un public initié, qui sera probablement flatté de reconnaître les différents emprunts. Mais là où des cinéastes comme Quentin Tarantino transforment ces références en matériau organique, Coralie Fargeat semble se contenter d’une surface chatoyante, sans jamais creuser dans la chair des œuvres qu’elle sollicite.

Cette accumulation, au lieu de nourrir le récit, tend au contraire à le fragiliser. Le film se perd dans ces clins d’œil incessants qui ne laissent que peu de place à une identité propre. Pire, ce système référentiel trahit une certaine paresse narrative : à force d’imiter, The Substance oublie de raconter une histoire. Si c’est là le Sunset Boulevard ou le All about Eve des temps modernes, cela n’en est qu’une version creuse et grotesque, oublieuse des personnages secondaires, des ramifications narratives et des études de milieu.

The Substance s’ouvre pourtant de belle manière, comme une réflexion allégorique sur les pressions sociales et les standards absurdes imposés aux femmes – une thématique que Coralie Fargeat avait déjà explorée avec acuité dans Revenge. Mais le film s’égare rapidement dans une surenchère spectaculaire. Chaque scène est un clou de plus enfoncé au cercueil de la mesure, qui ne sert qu’à élever l’horreur d’un cran, jusqu’à ce que l’ensemble devienne mécaniquement prévisible. C’est un crescendo de renoncement existentiel et de cruauté égoïste, où la vedette d’une émission télévisée d’aérobic se brûle jusqu’à la calcination sur les feux de la rampe. 

La violence, omniprésente, et plus visuelle que symbolique, finit par perdre de son impact, faute de respirations. Cette quête effrénée de l’excès est accentuée par une direction artistique où chaque élément semble arborer une fonction sursignifiante. Cela contribue à noyer les enjeux émotionnels et thématiques dans une gigantesque cacophonie visuelle. La cure de jouvence était absurde et pathétique ; la meilleure version d’elle-même finit par phagocyter l’héroïne, campée – le choix fait sens – par Demi Moore ; et tout est tellement fléché que The Substance finit par tourner à vide.

Le film, d’ailleurs, parvient-ils vraiment à articuler un discours clair ? Si le commentaire critique sur les excès de l’industrie du divertissement, sur l’objectification des corps féminins et sur l’obsession sociétale de la perfection relève de l’évidence, ces idées ne restent-elles pas pour autant embryonnaires ? Plutôt que d’en faire le cœur du récit, Coralie Fargeat les utilise comme prétextes à des scènes choc, diluant leur portée dans un exercice de style certes maîtrisé, mais ô combien boursouflé. Même le male gaze mange à tous les râteliers, entre fascination et répulsion. 

Il en résulte une œuvre qui semble vouloir tout dénoncer, mais ne dit finalement rien, ou si peu. Le spectateur, pris dans un maelström d’images et de références, est laissé à distance, admirateur d’un spectacle total et/ou frustré par un film qui refuse de lui offrir un point d’ancrage émotionnel ou intellectuel. Pour exister, une femme doit être jeune et belle. Et le rester ensuite, fût-ce au péril de sa santé physique et mentale. C’est entendu, mais encore ?

The Substance est une œuvre obsédée par l’impact immédiat, mais étrangement déconnectée de tout ce qui peut envelopper et asseoir son propos. Coralie Fargeat possède un talent formel indéniable, mais elle a sacrifié la puissance du récit sur l’autel de l’outrance. En résulte un film qui, pour paraphraser Oscar Wilde, connaît le prix de tout mais la valeur de rien. En d’autres termes, The Substance porte bien son titre, mais pour de mauvaises raisons : il en parle beaucoup mais n’en offre que trop peu. Certains qualifieraient une telle démarche d’opportuniste.

J.F.


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2 réponses à « The Substance : influences à foison, pertinence à cloisons »

  1. Avatar de Un genre à soi : nouveau souffle sur le cinéma français – RadiKult'

    […] des comédies bon enfant. Mais avec des succès comme Grave, Teddy, Vermines ou, plus récemment, The Substance, les cartes sont rebattues et une brèche s’est ouverte pour tous ceux qui désirent faire du […]

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  2. Avatar de tom
    tom

    en le voyant je me suis dit que c est un film avec comme public cannes, un public superficiel pour un film superficiel

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