
Figure de proue de la Nouvelle Vague, critique exigeant doublé d’un cinéaste virtuose (à moins que ce ne soit l’inverse ?), François Truffaut a nappé ses films de nombreux motifs, thèmes, clins d’œil et personnages, sur lesquels nous allons en partie revenir, en nous basant notamment sur le travail d’exégèse réalisé par Anne Gillain.
François Truffaut s’intéresse à ce qui se situe au-delà du langage, là où les mots échouent à exprimer les émotions et la réalité des relations humaines. Le territoire exploré dans son cinéma relève d’un espace pré-linguistique, celui de l’implicite et des non-dits, dans lequel il peut fondre des pans entiers de sa propre vie. À cet égard, les « plans mémoriels », innombrables dans son œuvre, sont appelés à agir en profondeur sur l’imaginaire du spectateur. Ce sont des images, objets, expressions ou gestes qui se répètent d’un film à l’autre et semblent entrer en dialogue les uns avec les autres. Ils forment un système de rimes visuelles qui s’impriment dans l’esprit et brisent la logique narrative traditionnelle.
Dès Les Mistons, la mort s’impose dans le cinéma truffaldien comme une rupture brutale. Souvent associée au féminin, elle est moins liée à la sexualité qu’à la fonction maternelle, source de fascination et de terreur pour le cinéaste. Les conséquences de la mort sont souvent métaphorisées par des situations visuelles fortes et des réactions subjectives des personnages. Autre motif récurrent : le couple. François Truffaut en explore les différentes facettes, de la gémellité fusionnelle et rassurante à la confrontation conflictuelle. La peur de l’engagement, la difficulté de communiquer et les traumatismes du passé conditionnent les relations amoureuses de ses personnages, de Jules et Jim à La Peau douce.
Si François Truffaut s’inspire de son vécu, il le transpose et le stylise pour créer des œuvres universelles, qui dépassent son seul cas personnel. Le réel est un matériau brut qu’il organise et façonne à travers une mise en scène tirée au cordeau. L’autobiographie se révèle dans la résonance émotionnelle et certains thèmes récurrents, comme la solitude de l’enfant, la fascination pour les femmes et la puissance du cinéma. Antoine Doinel, pour ne citer que lui, peut d’ailleurs être identifié comme un alter ego du réalisateur.
Montage, musique, couleurs, objets, mouvements de caméra, codes visuels récurrents… François Truffaut manie avec précision les différents éléments du langage cinématographique. Il privilégie les gros plans pour exprimer l’intériorité des personnages et crée un rythme presque hypnotique par la répétition de motifs visuels significatifs. Mieux, il emploie un système de signes et de métaphores pour parler de façon indirecte des émotions et relations humaines. L’eau, le feu, la nourriture, les miroirs, les portes, les livres, les enfants deviennent des vecteurs émotionnels et invitent le spectateur à une double lecture symbolique. Objet de fascination et d’angoisse, le corps féminin est fragmenté, érotisé par la caméra, cela se traduisant par des plans récurrents (jambes, pieds) qui s’inscrivent dans une dynamique complexe entre désir, peur et figure maternelle.
Marqués par une enfance solitaire, les personnages de François Truffaut sont souvent des êtres marginaux, en quête d’un équilibre entre la liberté et le besoin d’affection. Ces éléments certes personnels sont transformés, sublimés et intégrés dans une structure formelle rigoureuse qui s’affranchit du simple récit de soi. Tirez sur le pianiste met en scène Charlie, double tragique et burlesque du cinéaste, apeuré par l’engagement sentimental. Jules et Jim procède par un triangle amoureux et la figure de la femme fatale. Dans L’Enfant sauvage, François Truffaut explore l’opposition nature/culture et s’interroge sur le pouvoir du langage et de l’éducation. L’Argent de poche s’apparente à une ode à l’enfance et à l’insouciance, le film adoptant le point de vue des plus jeunes et célébrant leur singularité. L’Homme qui aimait les femmes capture l’obsession du héros pour les jambes et fait état du désir charnel. Dans La Femme d’à côté, il est question de la puissance destructrice de la passion amoureuse, ainsi que de la difficulté de communiquer.
Si la filmographie truffaldienne fascine et émeut tant, c’est avant tout par la justesse de son regard sur les relations humaines, la beauté plastique de ses images et la puissance émotionnelle de ses récits. La richesse de son langage cinématographique, entre réalisme et symbolisme, contribue également à l’emprise qu’exerce l’œuvre sur le public. Dans Tout Truffaut (Armand Colin), qui a abondamment nourri cette analyse, Anne Gillain s’épanche sur ce cinéma constitué de reliefs et d’occurrences, qui suit une ligne directrice qui apparaît d’autant plus claire à mesure qu’on s’y plonge.
J.F.

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