Monika : l’insolente insulaire

Monika (1953) – Réalisation : Ingmar Bergman.

On connaît Bergman sur certains sujets de prédilection, et notamment celui fondamental de la vie de couple. Alors qu’une grande partie de sa filmographie se consacre à la vie conjugale d’adultes qui dépérissent de vivre ensemble, Monika, en phase avec la jeunesse de sa carrière, traite des illusions des débuts passionnels. Mais la cruauté des désillusions sera tout aussi éclatante. 

À l’inverse des films hollywoodiens qui font pleurer l’héroïne, Monika pourrait s’inscrire dans la veine néoréaliste : on prend soin de dépeindre une réalité sociale, et le fossé qui sépare la jeunesse d’un monde adulte aussi ennuyant que contraignant. 

Au monde du travail dans lequel on harcèle aussi bien le jeune homme que la demoiselle va donc répondre la fugue estivale. On peut penser à ce que deviendra le très poétique Moonrise Kingdom, dans la virée de deux jeunes en harmonie avec la nature insulaire, au gré de splendides images qui mettent en valeur l’eau, la pierre et le feu, avant d’évoluer vers un érotisme fusionnel. 

Le film entier se met au diapason de Monika, jouée par une extraordinaire Harriett Andersson qu’on retrouvera très régulièrement chez Bergman par la suite. Libre, entreprenante et insolente, elle embarque son amant comme le spectateur à sa suite, et la fuite en avant qu’elle propose ménage un temps la possibilité d’occulter totalement le réel. 

Mais l’été s’achève, et avec lui la saison de l’insouciance. Toute cette beauté qu’on retrouvera dans bien des films du cinéaste se mue en souvenirs d’un âge d’or, et le cruel retour à la société met en place les thèmes tout aussi chers à Bergman : l’adultère, l’insatisfaction, la nécessité. Monika est un personnage d’une complexité rare, et qui tranche avec la figure féminine des années 50 : rebelle à l’ordre établi, elle n’a finalement qu’un idéal : elle-même, et sa liberté ne peut être considérée comme une valeur universelle que viendrait illustrer son parcours. 

L’amour d’un homme, la responsabilité d’un enfant, la maturité d’un foyer à construire sont autant de repères qu’elle balaye d’un revers de main. 

Le terrible et célèbre regard caméra de la protagoniste (« le plan le plus triste de l’histoire du cinéma » selon Godard) sur le point de commettre l’irréparable concentre toute cette ambivalence : Monika sait qu’elle est méprisable, mais poursuit sa fuite en avant. Cette conscience aigüe de ses propres manquements est l’un des traits fondamentaux du cinéma de Bergman. 

La parenthèse enchantée se mue ainsi en conte naturaliste, et au soleil des plages succède une rue nocturne, un couffin et un miroir dans lequel le père contemple son reflet. Monika s’est évaporée, et ne reste d’elle que les lueurs d’un flashback : une beauté qui ressurgit, mais sous le sceau d’une déstabilisante interrogation quant à sa valeur, et sa possible toxicité.

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Éric Schwald


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3 réponses à « Monika : l’insolente insulaire »

  1. Avatar de Rêve de femmes : la contusion des sentiments – RadiKult'

    […] Dans Monika, l’héroïne pleure devant une bluette hollywoodienne qui fait bâiller son prétendant ; le titre du film est le même que ce nouveau film de Bergman, qui va bien entendu prendre bien des distances avec le modèle formaté de l’usine à rêves. […]

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  2. Avatar de La Source : le désordre et la foi – RadiKult'

    […] rapport au décor et aux matières rappelle un peu l’impressionnisme de Monika : par le biais d’Ingeri, être sensitif, le pain, le feu, la pierre, la forêt sont l’objet […]

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  3. Avatar de Cris et chuchotements : mauve et sang – RadiKult'

    […] et chuchotements retrouve Harriet Andersson, l’adolescente solaire et libertaire de Monika, en moribonde encombrante dans les murs compassés d’une demeure aristocratique : le grand écart […]

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