
Extrait du film Orange mécanique (1971), ce photogramme place le spectateur, voyeuriste contraint, à proximité directe d’Alex, le protagoniste de Stanley Kubrick, ex-criminel soumis à une technique de conditionnement expérimentale.
L’image est centrée sur le visage du jeune homme, qui exprime une terreur indicible. Ses yeux, maintenus grands ouverts par des écarteurs, sont forcés de regarder des images insoutenables, censées déclencher des stimuli annihilant chez lui toute violence. Les affects portés par la scène s’accentuent sous un double effet : l’éclairage cru qui illumine le visage d’Alex et l’intimité violée d’une souffrance manifeste.
Le point de vue adopté par Stanley Kubrick est frontal, en plongée, proche du sujet, presque intrusif ; il place le spectateur dans la position de l’expérimentateur, observant les effets du traitement sur le cobaye humain. Les métaux argentés du dispositif apparaissent surexposés, ils s’imposent à la rétine et forment une extension monstrueuse du visage, tordu de douleur, du personnage.
La critique d’Orange mécanique sur la psychologie comportementale et les dérives potentielles d’une société qui cherche à contrôler l’individu ne fait aucun doute. Le regard en biais et détresse d’Alex, capturé par l’objectif, force le spectateur à questionner l’éthique de la réhabilitation forcée.
Dans son film, Stanley Kubrick explore les thèmes de la liberté individuelle, de la violence innée et du contrôle gouvernemental. Alex faisait partie des Droogies, un groupe caractérisé par une propension irrépressible à la violence. Après son arrestation, les autorités cherchent à anesthésier ses pulsions violentes, à l’adoucir, mais lui ôte subséquemment toute forme de choix et de plaisir, remettant ainsi en question la notion de bien et de mal.
À cette aune, le photogramme s’érige en prisme à travers lequel la controverse morale et philosophique du film peut être examinée. Satire sociale, étude dystopique sur l’oppression du pouvoir, Orange mécanique se tapisse d’un conflit aigu entre la liberté individuelle et la sécurité collective, avec une violence étatique qui se substitue à la violence privée. De prédateur, Alex devient victime. L’agression ne disparaît pas, elle se renouvelle et glisse d’une structure (l’individu) vers une super-structure (la société).
J.F.

Laisser un commentaire