Entre le monde et moi : Ta-Nehisi Coates et la question raciale

En 2015, Ta-Nehisi Coates jetait un pavé dans la mare avec un essai sobrement intitulé Between the World and Me et rapidement traduit en France, aux éditions Autrement, sous le titre plus explicite Une colère noire. Puissant cri du cœur visant à éveiller les consciences, l’ouvrage fait aujourd’hui l’objet d’une réédition, avec une nouvelle traduction et une préface inédite de l’auteur. 

« Voici ce que j’aimerais que tu comprennes : dans ce pays, annihiler le corps noir est une tradition, et cette tradition fait partie du patrimoine national. Je ne souhaitais t’élever ni dans la peur ni dans le mensonge. Je voulais éveiller ta conscience. J’ai donc décidé de ne rien te cacher. »

Journaliste et écrivain, Ta-Nehisi Coates présente dans Between the World and Me une perspective amère et acérée sur l’histoire et les expériences des Noirs américains. L’ouvrage, conçu sous la forme d’une lettre à son fils de quinze ans, dresse un tableau sans concession de la violence raciale, des traumatismes historiques et de la vulnérabilité corporelle qui caractérisent le vécu de ces minorités ethniques, passé comme présent. L’auteur exprime une amertume profonde et rend compte, sans ambages, de l’oppression subie aux États-Unis sur le temps long.

Ta-Nehisi Coates met en lumière la dimension historique des violences infligées aux Noirs, en soulignant notamment la valeur économique des esclaves et leur rôle dans la construction de la nation états-unienne. Il contextualise la souffrance noire dans une perspective large, reliant l’esclavagisme, le commerce triangulaire ou encore le Passage du Milieu à des formes modernes d’oppression, telles que l’incarcération de masse et la violence policière. Cette corrélation entre passé et présent est cruciale pour mieux appréhender la persistance des inégalités raciales et la profondeur de la colère noire, notamment alimentée par les importantes ressources, en temps et en énergie, employées pour se mouvoir dans une société WASP.

Le choix de Ta-Nehisi Coates de nommer son fils Samori, en hommage à l’empereur Samory Touré, résistant à la colonisation en Afrique de l’Ouest, révèle l’importance des figures d’insoumission et de conviction dans son œuvre. Il s’inspire d’ailleurs de personnalités historiques qui ont lutté contre l’oppression, comme la reine Nzinga ou Malcolm X. Ces références soulignent à leur tour son désir de prendre langue avec le passé, y compris de résistance africaine et afro-américaine, pour mieux le connecter à l’expérience contemporaine des Noirs.

La rue et l’école, les deux bras d’un même monstre ?

Dans son ouvrage, proche d’une sociologie non académique, Ta-Nehisi Coates décrit l’environnement urbain et le système éducatif comme deux entités qui, bien que distinctes, contribuent conjointement à l’oppression des Noirs. La violence et le danger sont omniprésents dans les quartiers défavorisés, tandis que le système éducatif exige des efforts disproportionnés de la part des enfants noirs pour atteindre une réussite souvent entravée par des barrières systémiques. Cette analyse énonce les multiples facettes de l’injustice raciale et les défis auxquels sont confrontés les Noirs américains dans leur quête d’équité.

Par ailleurs, le concept de terreur, omniprésent dans l’œuvre de Coates, se traduit par la peur et la méfiance constantes éprouvées par les Noirs américains. Cette terreur est ancrée dans une histoire de violence et de discrimination, et se manifeste dans la vie quotidienne à travers des interactions problématiques et injustes avec la police et le système judiciaire, ainsi que dans des contextes plus subtils de marginalisation sociale. Le corps noir est vulnérable, pris pour cible, exploité, brutalisé, privé de vie. Ce constat glacial, définitif, sous-tend une grande partie de Between the World and Me.

Précieux, l’essai de Ta-Nehisi Coates ne se contente pas de dépeindre une réalité douloureuse ; il exhorte à une prise de conscience collective. Il offre une réflexion nécessaire sur les racines historiques de la discrimination raciale et sur les obstacles qui continuent d’entraver l’existence des Noirs en Amérique. Surreprésentés dans les statistiques carcérales, victimes de racisme institutionnel et de haine policière, objetisés en tant que rouages du commerce de coton ou de tabac avant de se voir marginalisés et ghettoïsés, les Afro-américains semblent cantonnés, sous la plume de l’auteur, à la marge d’un monde qu’ils aspirent pourtant à pleinement embrasser.

J.F.


Entre le monde et moi, Ta-Nehisi Coates – Autrement, janvier 2024, 208 pages 


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Une réponse à « Entre le monde et moi : Ta-Nehisi Coates et la question raciale »

  1. Avatar de Detroit : racisme institutionnel – RadiKult'

    […] noir », lesquels ont aujourd’hui trouvé un formidable porte-voix en la personne de Ta-Nehisi Coates, qui a mis des mots précieux sur la vulnérabilité du corps noir et ses blessures ancestrales. […]

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