
Dans son roman devenu culte American Psycho (1991), Bret Easton Ellis dresse un portrait sans concession de l’Amérique des années 80, à travers le prisme d’un golden boy de Wall Street, Patrick Bateman. Mi-horrifiant mi-fascinant, le personnage permet au lecteur d’explorer la décadence morale d’une société obsédée par l’argent, le pouvoir et l’apparence.
Patrick Bateman, protagoniste principal et narrateur d’American Psycho, se situe à l’extrémité haute de la culture capitaliste américaine. Il est l’archétype du golden boy de Wall Street, brillant le jour, impitoyable la nuit. À 27 ans, il incarne parfaitement la réussite sociale et matérielle, fondue dans un maelström d’expériences et de marques. Cette façade dorée cache cependant un psychopathe dénué de toute morale ou empathie. Bret Easton Ellis utilise son antihéros pour exposer de manière glaçante les excès et les contradictions d’une société où l’apparence et la satisfaction des désirs immédiats prévalent sur les valeurs humaines les plus élémentaires.
Car American Psycho tient de la satire pour critiquer l’obsession des classes supérieures pour le matérialisme et le statut social. Les descriptions minutieuses de vêtements de marque, de repas luxueux et d’appartements somptueux soulignent l’importance exagérée accordée aux symboles de richesse. En contrepoint, la déshumanisation du golden boy et la violence gratuite à laquelle il s’adonne indiquent le vide moral et émotionnel qui pulse sous la surface lisse du succès financier. Patrick Bateman a littéralement la folie des grandeurs.
Bret Easton Ellis narre les horreurs commises par Bateman avec une absence délibérée de jugement moral. Cette neutralité renforce l’horreur des actes décrits, mettant le lecteur face à l’indifférence abjecte de la haute société. En ne fournissant aucun commentaire explicite, l’auteur invite ses lecteurs à examiner les conséquences d’une société où les valeurs ont été éclipsées par le culte de l’argent et de l’image. L’élégance n’est plus celle du cœur mais des cartes de visite, des meilleures tables de grands restaurants et des lignes de cocaïne parfaitement alignées. L’extérieur (appartement, corps, costumes) fait l’objet de toutes les attentions, quand l’intérieur (moralité, sentiments, culture) tombe en déliquescence.
Le personnage de Patrick Bateman sert de lien entre l’individu (la structure) et son milieu socioprofessionnel (la superstructure). Ainsi, Ellis dépeint une upper class où règnent la solitude, la démence et la superficialité. Cette interconnexion met en lumière la manière dont l’environnement peut influencer et corrompre les individus. Le golden boy est mû par des pulsions irrésistibles, qu’il doit libérer à tout prix, comme si rien ne pouvait entraver son « ça ». Décomplexé, de plus en plus confus, il ne cesse de repousser les limites de l’horreur et jalouse chez les autres ce qu’il aimerait qu’on lui envie.
Au fond, American Psycho énonce ce que perd en essence une humanité shootée à l’argent (Donald Trump y est érigé en objet d’adoration) et aux futilités (populaires, télévisuelles, consommables). Dans le film de Mary Harron adapté du roman et sorti en 2000, Christian Bale prête ses traits les plus vaniteux et inquiétants à un Bateman tourmenté, qu’une séquence permet à elle seule de mettre à nu. Déjà irrité par le fait d’avoir été confondu avec l’un de ses collègues (et pour cause : mêmes fonctions, mêmes costumes, mêmes lunettes, même coiffeur…), il manque de défaillir quand il se rend compte que les cartes de visite de ses interlocuteurs sont plus raffinées que la sienne.
Voilà à quoi rime l’existence de ces golden boys : un lustre interchangeable et une distinction, si convoitée, contenue sur un bout de carton tenant dans le creux d’une main. De quoi sombrer dans la folie ?
J.F.

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