Friends, qu’en retenir ?

Série télévisée américaine créée par David Crane et Marta Kauffman, Friends a été diffusée pour la première fois en 1994. Cette sitcom, vite devenue phénomène générationnel, s’est ensuite étalée sur dix saisons, en dépeignant avec humour et sensibilité la vie de six amis trentenaires à New York. Ce groupe aux personnalités disparates, composé de Ross, Rachel, Monica, Chandler, Joey et Phoebe, se côtoie au quotidien et évolue ensemble à travers les aléas de la vie, professionnels comme sentimentaux. Ils ont contribué à refléter les aspirations et les inquiétudes d’une génération qu’ils ont profondément influencée en retour.

Ne tournons pas autour du pot : Friends a été et reste un succès phénoménal. David Crane et Marta Kauffman ont réussi à créer une série (en partie) pionnière qui raconte le quotidien de jeunes adultes new-yorkais dans les années 90. Pas tout à fait représentatifs de la société américaine (manque de mixité, oisiveté, appartements aux dimensions exagérées), les six personnages-phares de la sitcom ont néanmoins insufflé une authenticité remarquable dans les péripéties et les émotions qu’ils ont vécues à l’écran. 

Dans les années 90, Friends est apparue comme une bouffée d’air frais dans un paysage télévisuel longtemps corseté – malgré Seinfeld, Twin Peaks ou X-Files, qui l’ont toutes précédée. À une époque où les sitcoms familiales se taillaient la part du lion, la série a contourné les codes qui y étaient en vigueur pour se concentrer sur l’amitié et les épreuves typiques du passage vers l’âge adulte. Elle s’est inscrite dans un mouvement plus large de représentation des jeunes urbains, amorcé par l’excellente Seinfeld. Le café Central Perk et l’appartement de Monica sont devenus les lieux de rassemblement privilégiés des six amis, partagés entre amours tumultueux, aventures professionnelles, familles dysfonctionnelles ou divisées et évolution personnelle.

C’est d’ailleurs l’une des grandes forces de Friends. La série explore des thèmes universels avec une profondeur assez rare pour une sitcom. L’amitié, évidemment, en reste le cœur. Elle est traitée avec une tendresse qui dépasse le seul cadre comique. L’amour, sous toutes ses formes, en est un autre pilier, exploré à travers les relations complexes et évolutives entre les personnages. Les défis de l’âge adulte sont eux aussi abordés avec finesse : la recherche d’identité, les aléas de la carrière, le désir de stabilité amoureuse et familiale. La série ne fait pas non plus l’économie des thèmes de la parentalité, de la diversité (surtout sexuelle) et des évolutions sociétales (gestation pour autrui, adoption, divorce, etc.), bien que certains aspects aient vieilli et fassent aujourd’hui l’objet de critiques (on pense à la grossophobie ou aux sarcasmes parfois déplacés de Chandler).

Une recette miracle ?

Friends adopte le format sitcom, avec des épisodes de 20 minutes, des rires enregistrés et des décors fixes. Ses épisodes sont construits selon un schéma d’arcs narratifs allant souvent par trois, et présentés en alternance. L’écriture aiguisée de la série, avec ses dialogues rapides et incisifs, ainsi que son timing comique impeccable, doit beaucoup à l’échange créatif qui existait sur le plateau. Dans son autobiographie, Matthew Perry explique très bien l’émulation qui régnait alors parmi les équipes scénaristique et de tournage, chaque comédien étant par exemple libre d’apporter ses propres suggestions quant à son personnage, ses interactions, la caractérisation dont il fait l’objet et les situations dans lesquelles il apparaît. 

La narratologie de Friends se fonde sur une structure classique, avec des arcs évolutifs clairs pour chaque personnage. Les épisodes suivent généralement un schéma de situation initiale, complication, résolution et situation finale, conduisant à une expérience narrative cohérente et satisfaisante pour le public. L’humour reste évidemment l’outil narratif clé, utilisé pour ses effets intrinsèques, de situation, de caractère ou de répétition, mais aussi pour alléger des thématiques parfois plus sérieuses.

La mise en scène, centrée autour du café Central Perk et de deux appartements se faisant face (Rachel-Monica et Chandler-Joey, pour l’essentiel), crée un univers à la fois réaliste et intime, renforçant la proximité du public avec les personnages, auxquels tout spectateur peut pleinement s’identifier, tant leurs problèmes sont universels. La série, généreuse en tirades et en gags visuels, utilise aussi habilement les flashbacks pour enrichir la narration et approfondir la psychologie des personnages.

Chacun d’entre eux pourrait symboliser un aspect de la vie urbaine moderne. Ross, le paléontologue, représente l’intellectuel romantique mais maladroit, parfois sujet à des crises de colère homériques. Rachel, passée de serveuse à professionnelle de la mode, incarne un idéal de beauté et la possibilité de s’élever socialement. Monica, cheffe cuisinière, est l’archétype de la perfectionniste obsessionnelle. Chandler utilise son humour comme un mécanisme de défense et symbolise l’homme moderne en quête de sens. Joey, l’acteur sans le sou, un peu simple d’esprit, représente le rêve américain (inassouvi), tandis que Phoebe, masseuse et musicienne, n’est autre que l’esprit libre et bohème du groupe.

Ces six personnages sont tous richement développés. Ross est régulièrement confronté aux échecs amoureux et cela façonne sa personnalité. Rachel, initialement superficielle, évolue vers une indépendance longtemps inconcevable. Monica lutte contre un passé de surpoids et un besoin de contrôle permanent, ce qui dit quelque chose des pressions sociétales qui pèsent généralement sur les femmes. Chandler affronte les séquelles d’une enfance marquée par le divorce et l’insécurité familiale, tandis que Joey, sous une façade puérile et machiste, révèle une loyauté et une profondeur inattendues. Phoebe, peut-être la plus émotionnellement détachée, est modelée par son passé éprouvant ; elle montre une résilience et une originalité qui la placent par-dessus les normes. Les arcs narratifs des personnages, sur lesquels on pourrait discourir et ergoter des heures durant, illustrent des trajectoires de vie diversifiées. D’autant plus que ce premier cercle s’agrandit régulièrement, en accueillant des seconds rôles récurrents (Gunther, secrètement amoureux de Rachel, Janice et sa voix nasillarde ou encore Richard, l’ex de Monica plus âgé et sophistiqué). 

Héritages

Friends partage des similitudes thématiques et stylistiques avec d’autres œuvres emblématiques du petit écran. On peut évidemment la comparer à Seinfeld pour son exploration des absurdités de la vie quotidienne urbaine, bien que la série de David Crane et Marta Kauffman soit plus centrée sur les relations interpersonnelles. Des parallèles peuvent également être établis avec Cheers pour son lieu central d’action (le bar/café). La série partage de nombreux traits communs avec How I Met Your Mother, qui en a reproduit les principaux codes, ou dans une moindre mesure New Girl.

Friends regorge plus généralement de références culturelles qui témoignent de son ancrage dans le contexte des années 90 et 2000. Des allusions à des célébrités, des émissions de télévision populaires, des films et des événements marquants de l’époque abondent. Par exemple, le personnage de Joey, en plus d’admirer ouvertement Piège de cristal, apparaît dans une version fictive de la série Les Jours de notre vie, une référence directe aux soap operas américains. Les nombreux cameos de stars, tels que Brad Pitt, Sean Penn, Julia Roberts ou Bruce Willis, ajoutent une couche supplémentaire d’interconnexion culturelle. L’habileté avec laquelle Friends intègre ces éléments consolide continuellement son univers, et multiplie les clins d’œil envers un public qui en redemande.

Friends a eu un impact socioculturel considérable. La série a influencé tant la mode (la coiffure « The Rachel ») que le langage (les expressions comme « How you doin’? » ou « We were on a break! »). Elle a aussi eu un impact sur la perception des relations humaines et de la vie urbaine. Son manque de diversité et ses représentations parfois stéréotypées ont été critiquées plus tardivement, et à raison, mais sans pour autant entamer sa popularité à travers les générations. 

Friends n’a pas seulement fédéré autour d’elle des millions de téléspectateurs à travers le monde. Moins superficielle qu’il n’y paraît, elle a aussi porté à l’attention de tous des thèmes délicats comme l’identité, la sexualité, la famille, l’amour et le travail, avec une profondeur souvent sous-estimée. Elle traite par exemple de la normalisation des relations homosexuelles, comme le montre le mariage de Carol et Susan, et met en scène (certes avec maladresse) un drag queen aux mœurs très libres, une approche progressive pour l’époque. Son sens de la comédie, surtout, n’a pas pris une ride : les auteurs sont parvenus à conserver un degré d’exigence tel qu’aujourd’hui encore, il est difficile de rester indifférent aux histoires de Monica, Rachel, Chandler et compagnie.   

L.B.


Posted

in

by

Comments

3 réponses à « Friends, qu’en retenir ? »

  1. Avatar de Lexique des séries télévisées (2/2) – RadiKult'

    […] Guest star. C’est un acteur connu qui apparaît dans un ou plusieurs épisodes d’une série, sans faire partie de la distribution principale. Brad Pitt, Sean Penn ou Bruce Willis apparaissent ainsi tous dans Friends. […]

    J’aime

  2. Avatar de Friends : Chandler et Joey, une bromance devenue mythique   – RadiKult'

    […] les relations les plus emblématiques de la série Friends, celle entre Chandler Bing (Matthew Perry) et Joey Tribbiani (Matt LeBlanc) est à marquer […]

    J’aime

  3. Avatar de Cinq personnages pas si secondaires – RadiKult'

    […] la série Friends, Janice Hosenstein ne procède que par apparitions fugaces, le plus souvent à vocation […]

    J’aime

Répondre à Lexique des séries télévisées (2/2) – RadiKult' Annuler la réponse.