
Au seuil du XVe siècle, la Renaissance italienne éclot dans un contexte de renouveau, où l’art, la science et la politique produisent leurs effets conjugués. Les cités-États, disposées sur un territoire morcelé, souvent rivales, deviennent des bastions de créativité à la faveur de mécènes généreux tels que Cesare Borgia ou les Médicis. Au cœur de cette ébullition culturelle se trouve Léonard de Vinci, un polymathe dont l’œuvre transcende les disciplines, et fera date.
Peintre prodige très tôt promu au sein de l’atelier Verrocchio (Florence), Léonard de Vinci a aussi expérimenté, durant son existence, l’ingénierie, l’anatomie ou la philosophie. Cet adepte de l’écriture spéculaire, parfois moqué en raison d’une éducation jugée lacunaire (il n’a jamais suivi d’instruction publique), vivait selon cette maxime, tirée de ces Carnets : « Au lieu de recevoir l’enseignement d’un maître, on retient beaucoup plus de choses si on se pose des questions et qu’on cherche soi-même les réponses. »
Polymathe
Les Carnets de Léonard de Vinci montrent un homme dont la pluralité des compétences étonne. Véritable polymathe, ses observations et études allaient de l’anatomie à la mécanique de vol en passant par la perspective ou les arts comparés. D’une curiosité sans limites, il démontait, déjà enfant, les outils agricoles de son oncle ou se plongeait dans la dissection d’animaux pour mieux comprendre leurs mécanismes internes. Cette transdisciplinarité – pour dessiner un sourire, il faut comprendre précisément le fonctionnement des muscles du visage et le plissement des yeux – a fait de lui un pionnier dans divers domaines, une sorte d’ambassadeur des arts et des sciences, notamment à Milan, où il a servi à la fois comme ingénieur militaire et comme artiste, selon les besoins du Duc Ludovic – avant que ce dernier ne quitte la ville sous la menace des troupes françaises.
Italie morcelée
Car il faut le rappeler, l’Italie du XVe siècle n’était autre qu’une mosaïque de cités-États, chacune s’employant à affirmer sa suprématie culturelle et militaire. C’est dans ce contexte que Léonard a trouvé ses premiers protecteurs. Laurent de Médicis, qui finançait l’atelier de Verrocchio à Florence, jouait un rôle central dans le mécénat des arts pour asseoir le rayonnement culturel de la Cité. Ce morcellement a joué à double tranchant pour Léonard : il a pu bénéficier des libéralités de divers princes, mais il a aussi dû faire face aux conflits incessants, ce qui l’a contraint à une vie itinérante, accompagné de ses fidèles disciples Melzi et Salai, à qui il prodiguait conseils et encouragements.
Génie incompris ?
Malgré une réputation solidement établie, Léonard de Vinci était parfois critiqué et souvent incompris par ses contemporains. Son manque de formation et son penchant pour la procrastination – conséquence d’une soif inaltérable de connaissances et d’un soin maladif accordé aux détails – faisaient au mieux l’objet de réserves. Par ailleurs, ses recherches en anatomie, vues avec une grande circonspection, lui ont finalement valu des accusations de nécromancie. Ainsi, non seulement son incapacité à respecter les délais lui coûtait des commandes, mais en plus ses activités iconoclastes le marginalisaient au point de constituer une menace pour sa propre personne, conservatisme religieux aidant.
Techniques picturales et approche philosophique
Le peintre italien était un pionnier en matière de techniques picturales. À l’atelier de Verrocchio, on l’aperçoit réfléchir intensément sur la position idéale des mains pour les rendre aussi réalistes que possible. Il a usé de techniques ingénieuses pour créer la profondeur de champ, s’est longuement penché sur la composition du cadre et le point de vue. Ses œuvres témoignent d’une authentique passion pour la « mécanique biologique ». Par ailleurs, Léonard de Vinci compare, dans ce manga éducatif, le geste pictural à la création divine ; il interroge le rapport entre l’œuvre et la nature, verbalisant la nécessité de connaître le réel dans ses articulations les plus fines avant de pouvoir le représenter avec excellence. Plus loin, il explique à son apprenti qu’il doit tenir compte de toutes les critiques et en réaliser lui-même l’examen, de manière à en tirer le meilleur profit possible. Il expose aussi les conditions d’exercice de l’artiste, décrit comme intrinsèquement solitaire.
Un objet d’étude passionnant
Finissant sous la protection admirative de François 1er, qu’il a émerveillé avec une création audacieuse (un lion mécanique), Léonard de Vinci continue de travailler même après avoir été affligé par la maladie et mis en incapacité d’utiliser à dessein l’une de ses mains. Ainsi, de bout en bout, Les Carnets de Léonard de Vinci portraiture un artiste affirmé, résolu, désireux de tout connaître des arts et des sciences et d’en maîtriser le moindre aspect, figuratif comme technique. Didactique sans se montrer professoral, représentatif bien que non exhaustif, le manga est une porte d’entrée idoine vers l’un des plus grands génies de l’histoire de l’humanité.
J.F.

Les Carnets de Léonard de Vinci, Variety Artworks – Soleil, octobre 2023, 200 pages

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