Buffy ou la révolte à coups de pieu, déconstruire le réel par le surnaturel 

Les éditions Playlist Society publient Buffy ou la révolte à coups de pieu, de Marion Olité. Dans son essai, la journaliste scrute Buffy contre les vampires sous la fine pellicule des apparences. Il en résulte une étude passionnante de ses thématiques secondaires, du féminisme à l’aliénation industrielle. 

S’il est un pan de la culture populaire occidentale qui, à bien des égards, a façonné nos représentations collectives du genre, ce sont les tropes littéraires, télévisuels et cinématographiques. Les années 80 et 90 ont popularisé l’homme d’action sous les traits de Sylvester Stallone, Bruce Willis ou Arnold Schwarzenegger, quand l’âge d’or hollywoodien privilégiait les détectives, les cowboys ou les reporters intrépides. Pour les femmes, la situation a longtemps été différente : les personnages récurrents de la vamp, de la pin-up ou de la femme fatale honoraient peu la féminité, et la télévision n’avait guère plus à offrir que les séries Wonder Woman ou Arabesque pour briser les clichés.

Cela a été vrai jusqu’au début des années 1990, puisque Dana Scully et Fox Mulder ont formé un tandem indissociable, d’égale importance, dans la série X-Files de Chris Carter, diffusée à partir de 1993. Si la première vague du féminisme, liée au droit de vote, avait déjà fait son œuvre, l’inspectrice du FBI, titulaire d’un diplôme de médecine, s’inscrivait en plein dans ses deuxième et troisième vagues, touchant l’une à la sexualité et la maternité, l’autre à l’égalité en matière de droits et de représentations. Buffy Summers intervient dans le même élan, mais un peu plus tard, en 1997 précisément. Issue du film Buffy, tueuse de vampires (1992), elle occupe la tête d’affiche de la série télévisée dérivée Buffy contre les vampires, de Joss Whedon, déjà scénariste sur le long métrage de la réalisatrice Fran Rubel Kuzui.

Pour saisir la portée de Buffy contre les vampires, il faut l’encastrer dans son contexte d’émergence. La femme, jusque-là confinée aux rôles de victime, de muse ou de tentatrice, s’attribue soudain des attributs considérés comme masculins, en faisant d’une lycéenne de 16 ans la protectrice d’un monde soumis à des menaces permanentes. Campée par une Sarah Michelle Gellar héroïsée, Buffy Summers va, comme le note et l’exemplifie parfaitement Marion Olité, se dresser contre le patriarcat, influencer les hommes qui l’entourent et participer de l’empouvoirment (empowerment) des femmes. Tout au long de la série, elle apparaît courageuse, résiliente, astucieuse, et forte. 

Comme l’indique Buffy ou la révolte à coups de pieu, la série de Joss Whedon procède en fait à une inversion des tropes habituellement associés à la féminité. Les créatures de la nuit, symboles des peurs ancestrales, ne sont plus combattues par des hommes mais bien, dans un processus de subversion sur lequel l’auteure revient abondamment, par une jeune femme qui se réapproprie à la fois l’espace public (ses sorties nocturnes dans Sunnydale) et le pouvoir d’action (son statut d’élue, combattante et sauveuse du monde).

En la détricotant, Marion Olité fait l’exégèse d’une série à plusieurs niveaux de lecture. Si la question du genre est désormais posée (et on aurait pu évoquer, comme le fait l’auteure, le regard féminin ou les agressions sexuelles), les relations interpersonnelles (Buffy, les hommes, ses amis, sa famille), le récit initiatique (des bancs du lycée à la protection du monde, de l’adolescence à la vie d’adulte) et même des propos plus subsidiaires, tels que les peurs enfantines ou les effets produits par les grandes entreprises et les fast-foods, alimentent eux aussi Buffy contre les vampires – ainsi que la réflexion qui nous occupe.

Pendant ses 7 saisons et ses 144 épisodes, la série, particulièrement généreuse, a traité du deuil, de l’éveil amoureux, des orientations sexuelles, des autorités publiques, de la chasse aux sorcières, le tout en vulnérabilisant les hommes et en octroyant à son héroïne, Buffy, une puissance sans égale. L’essai de Marion Olité fait état d’une série qui a brisé certains codes (sur le genre) pour en adopter d’autres (le monomythe de Joseph Campbell), qui a refusé les déterminismes (Angel, Spike) mais pas les emprunts (le groupe autour de Buffy se nomme… le Scooby-Gang). Bien qu’il ne puisse évidemment à lui seul épuiser le sujet, Buffy ou la révolte à coups de pieu redirige en tout cas notre regard vers des aspects moins évidents, plus subtils, de la série de The WB et UPN. Et cette lecture agréable lui donne, sans aucun doute, une seconde vie. 

R.P.


Buffy ou la révolte à coups de pieu, Marion Olité

Playlist Society, octobre 2023, 160 pages

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