Yojimbo : larves et autodestruction massive

Yojimbo (1961) – Réalisation : Akira Kurosawa.

On a souvent qualifié Kurosawa du « plus occidental des cinéastes japonais », et il est évident que l’ouverture du garde du corps surprend d’emblée par sa parenté avec le western. Musique aux cuivres tonitruants, rue déserte d’une ville en proie à la guerre fratricide, on comprend ce qui a attiré Sergio Leone, qui a littéralement pillé le film pour initier sa Trilogie du dollar. Alors qu’on se situe ici dans un Japon des samouraïs, on y retrouve la même noirceur, le même goût pour les trognes patibulaires, et jusqu’aux prémices du western dans la mesure où le samouraï concurrent du protagoniste (Nakadai) délaisse le sabre au profit du flingue…

Aux antipodes de l’humanisme flamboyant des 7 Samouraïs, le récit donne ici à voir la lie de l’humanité, et lui offre le héraut qu’elle mérite : prisonniers en laisse comme des chiens, femmes objets perdues au jeu et hommes de main chair à katanas, rien ne semble pouvoir sauver la population, et surtout pas l’arrivée providentielle du vagabond Mifune qui y voit une occasion de monnayer ses services en faisant monter les enchères du plus offrant. 

Révélateur de cette violence déjà présente, son incursion dans la ville déchaîne les passions et exacerbe tout ce que l’humain a de plus vil, et occasionne un point de vue que le cinéaste va exploiter avec sa maestria habituelle. Sanjuro est l’omniscience incarnée : il écoute les conversations derrière les cloisons et occupe dans la ville un point nodal duquel il voit tout. Sa place lors de l’affrontement couard des deux camps dit tout de son statut : sur un mirador, l’œil goguenard, il étudie avec cynisme ce troupeau animal incapable d’élaborer de véritables stratégies. Dans la ville, il observe, permettant un travail rigoureux de cadrage sur les cloisons et les arrière-plans. 

[Spoilers]
Certes, le héros prendra aussi son compte de coups et, à l’image d’Eastwood à maintes reprises sous la caméra de Leone, y laissera dents et hématomes. 
Seule l’irruption d’une femme encordée et les pleurs d’un enfant permettent les voies de la tardive rédemption ; mais loin d’apaiser la violence, elle la galvanise : c’est vers une véritable mise à sac que s’achemine le récit, initiée par la splendide séquence où Sanjuro feint un combat qui aurait libéré les otages : perçant les parois, crevant les sacs de grains qui pleuvent au sol, détruisant tout le mobilier, il explicite ce désir d’éradication d’un monde pourri jusqu’à la moelle. Dès lors, les camps induits en erreur par le malin stratège se déchaînent : on incendie les entrepôts, on fait gicler les tonneaux de saké dans une autodestruction massive des plus jouissives. 

C’est dans les fumeroles d’un duel final que s’achèvera, comme il sied, l’affrontement d’un seul contre tous. Retour à la rue principale, donc, et abandon de cette ville débarrassée de ses parasites, mais encombrée de cadavres, ponctué d’un « Adieu » brutal du samouraï redevenu vagabond, autant par dégoût de l’humanité que par égard pour elle. 

Puissant, désenchanté et rageur, un western ramen indispensable. 

Éric Schwald


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