Une brève histoire des IA sur grand écran

Le septième art a toujours su puiser dans le tréfonds des angoisses et des espoirs humains de quoi échafauder des récits haletants, alarmants, déstabilisants. Les intelligences artificielles (IA), machines nées de nos désirs d’efficience et de transcendance, se sont peu à peu imposées comme un motif récurrent, s’inscrivant tantôt à l’arrière-plan des œuvres, tantôt à leur fronton. Leur représentation s’est cependant métamorphosée au gré des avancées scientifiques et de la mutation de nos rapports à ces technologies.

Les préludes : Prométhée et l’homme-machine

Prenons pour point de départ un classique du cinéma fantastique et de l’expressionnisme allemand. Le Golem (1920), de Paul Wegener, raconte l’histoire d’un rabbin enfantant une créature dans l’espoir d’en faire son suppôt et de venir en aide à la communauté juive. Comme dans le Frankenstein (1931) de James Whale, qu’il inspira significativement, le monstre finit par se retourner contre ses créateurs. Bien que n’étant pas une IA au sens propre du terme, le Golem illustre nos craintes, anciennes, de voir nos créations prométhéennes échapper à notre contrôle, un thème évidemment central dans le traitement cinématographique des intelligences artificielles. 

Dans cette genèse, il nous faut également mentionner le mythique Metropolis (1927) de Fritz Lang. Symphonie dystopique passée à la postérité, le film met en scène le robot Maria, dont le miroitement argenté va de pair avec la manipulation et la fragilisation des classes laborieuses. Le mythe de l’automate, déjà présent dans la littérature du XIXème siècle, trouve ici une manifestation visuelle, faisant corps avec les menaces de la déshumanisation et de l’aliénation industrielle.

Le superordinateur

À partir des années 1960, l‘IA est de plus en plus souvent représentée sous les traits du superordinateur omniscient et omnipotent. C’est notamment le cas dans le film de Stanley Kubrick 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), mettant en scène le supercalculateur HAL 9000. L’humanité doit alors déjouer les menaces pernicieuses qu’induit une technologie qui dépasse manifestement notre entendement. Le cas de « Mother », dans Alien, le huitième passager (1979), est tout aussi intéressant : Ridley Scott confronte son équipage à une entité duale, dissimulant sous une apparence sécurisante (maternelle ?) une vraie capacité de manipulation, pour le compte de la Weyland Corporation. Les voix douces et monocordes des intelligences artificielles ne doivent pas tromper notre vigilance : une machine peut-elle comprendre la valeur de la vie humaine, alors qu’elle est elle-même dépourvue de moralité – et de mortalité ? 

L’âge d’or du superordinateur se voit par ailleurs parfaitement illustré dans le WarGames (1983) de John Badham. Le superordinateur WOPR, chargé de simuler des scénarios de conflit nucléaire, est proche de déclencher une troisième guerre mondiale. Il représente les craintes de l’époque face à la délégation de décisions cruciales à des machines dépourvues de l’humanité nécessaire pour comprendre les conséquences de leurs actions.

L’humanité synthétique, ou l’IA sensible

Un basculement s’opère ensuite vers une représentation plus humaniste de l’IA. Ce dernier se produit notamment à la faveur du Blade Runner (1982) de Ridley Scott. Les répliquants, malgré leur enveloppe synthétique, aspirent à une humanité plus authentique que celle imaginée par leurs créateurs. Le célèbre monologue « Tears in Rain » de Roy Batty apparaît ainsi comme un appel déchirant, renversant l’idée préexistante de l’IA en tant que désincarnation et menace exclusives. 

Avec Ghost in the Shell (1995) de Mamoru Oshii, l’IA prend également une forme plus proche de nous : le cyborg. Le Major Kusanagi, doué d’intelligence artificielle, pose des questions éthiques sur l’identité et l’individualité dans un monde où la frontière entre l’humain et la machine devient de plus en plus floue.

Post-humanisme

Dans A.I. Intelligence Artificielle (2001), Steven Spielberg porte l’IA à un niveau supérieur, se projetant au cœur même de notre intimité. David est un jeune androïde programmé pour se substituer à un enfant malade et apporter à ses parents adoptifs tout l’amour qu’ils réclament. En un certain sens, le film Her (2013) de Spike Jonze s’inscrit dans un même registre, en se penchant sur les relations romantiques entre un homme célibataire et… un système d’exploitation, baptisé Samantha. Dans les deux cas, il s’agit de troquer la chaleur humaine, filiale ou amoureuse par un ersatz artificiel et codé. 

Dans Ex Machina (2014) d’Alex Garland, l’androïde Ava accède à une forme supérieure d’intelligence et de conscience. Elle manipule les émotions humaines, dessine des plans et les met en œuvre avec subtilité. Ambivalente, dotée d’une peau translucide qui révèle une armature mécanique, elle se confond avec un démiurge créé par l’homme pour dépasser ses propres limites.

La menace classique

Depuis toujours, le cinéma a dépeint les robots comme des menaces insidieuses, capables de bouleverser l’ordre établi et de mettre en péril la survie de l’humanité. Dans Terminator (1984), les machines dotées d’intelligence artificielle prennent le contrôle et cherchent à anéantir l’humanité pour assurer leur suprématie. De même, dans I, Robot (2004), une société futuriste lutte contre des robots qui remettent en question leur programmation, menaçant l’équilibre fragile entre les humains et les machines. Ces films, auxquels on aurait pu ajouter Planète hurlante (1995) ou Matrix (1999), nous interpellent sur les dangers potentiels d’une technologie mal maîtrisée.

La représentation de l’IA au cinéma est à cet égard un baromètre de nos angoisses et de nos espoirs, un miroir de notre société et de ses aspirations, une projection de nos désirs, une extension de notre volonté de comprendre et de maîtriser l’univers. 

Que nous réserve l’avenir ? Seul le temps pourra nous le dire. Peut-être que l’IA nous dépassera, ou peut-être que nous apprendrons à vivre en harmonie avec nos créations. Ce qui est certain, c’est que l’IA continuera longtemps à nourrir l’imagination des scénaristes et des cinéastes, de manière multidimensionnelle.

L.B.

Comments

Une réponse à « Une brève histoire des IA sur grand écran »

  1. Avatar de A.I. Intelligence artificielle : réflexion(s) sur les androïdes – RadiKult'

    […] cinéma a souvent exploré le concept des robots : créations prométhéennes, fonctionnelles et parfois à notre image, ils évoquent à la fois […]

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