Quand les studios Pixar effeuillent l’humanité 

Depuis 1995 et l’excellent Toy Story de John Lasseter, les studios Pixar n’ont cessé de façonner l’imaginaire collectif. Leur catalogue de films d’animation s’enrichit presque chaque année, d’un ou plusieurs films. D’un point de vue narratif et visuel, Pixar s’est fait une spécialité de représenter l’humanité dans toute sa pluralité. Chemin faisant, le studio californien a posé sur les hommes un regard profond, caractérisé par son acuité, et parfois critique. Explorons ensemble comment l’humanité et ses complexités transparaissent dans les films Pixar, en se focalisant sur trois thèmes : la diversité des personnages, la nuance émotionnelle et l’évolution de la société.

La diversité des personnages : un miroir de l’humanité

Dans la production Pixar, la diversité des personnages se porte bien au-delà de la simple apparence physique. Les protagonistes incarnent des réalités socio-culturelles diverses, parfois complexes, et leurs expériences tendent à refléter une multitude de perspectives humaines. En ce sens, le studio californien fait écho à une société plurielle et de plus en plus connectée.

Dans Ratatouille (2007), le spectateur suit les aventures de Linguini, un commis de cuisine modeste mais passionné, qui cherche à trouver sa place dans la haute restauration parisienne. En parallèle, le rôle principal est attribué à Remy, un rat doté d’un talent exceptionnel pour la cuisine. À travers ces deux personnages, le film de Brad Bird met en lumière les obstacles qui se dressent sur la route de ceux qui sont perçus comme différents ou inadaptés pour leur milieu, tout en célébrant la possibilité de franchir ces barrières à la faveur de l’obstination et du savoir-faire.

Le film Soul (2020) témoigne de l’approche de Pixar vis-à-vis de la diversité. Joe Gardner est le premier héros afro-américain du studio. Son personnage offre un regard précieux sur les réalités, les aspirations et les défis d’une communauté sous-représentée dans le cinéma d’animation. La culture afro-américaine est notamment intégrée à travers le jazz, musique qui imprègne le film. Des débats ont cependant éclaté en Europe, notamment au Danemark et au Portugal, en raison d’un doublage jugé trop « blanc ».

Coco (2017) prend également pour objet une communauté non-WASP, puisque le film immerge ses spectateurs dans la culture mexicaine, en explorant des traditions comme le Día de los Muertos. Miguel Rivera, douze ans, navigue entre son amour pour la musique et les interdits familiaux, qui empêchent toute forme d’expression musicale. Dans le long métrage de Lee Unkrich et Adrian Molina, les attentes parentales, le respect des traditions et les aspirations individuelles entrent souvent en conflit.

La tétralogie Toy Story (1995-2019), le diptyque Les Indestructibles (2004, 2018) ou encore Monstres et Cie (2001) se servent d’alibis super-héroïques et non-humains pour sonder des sentiments universels : l’angoisse de la dépossession, la peur d’être marginalisé ou abandonné, la difficulté de s’épanouir ou de trouver sa place dans le monde. Tous ces personnages peuvent être appréhendés comme des vecteurs d’inclusion et de représentativité. Ils permettent à des publics variés de se voir représentés dans des histoires faisant sens et société. 

La nuance émotionnelle : l’humanité authentique

Au fil des années, Pixar a composé avec une palette d’émotions qui résonnent étroitement avec les expériences humaines réelles. Les personnages mis en scène dans les films du studio californien vivent des joies, des peines, des échecs, des victoires, des traumatismes, des moments de résilience et de rédemption, avec un degré de sophistication qui va bien au-delà du simple divertissement.

Le film Vice-Versa (2015) en est bien entendu l’exemple tout désigné. Il aborde avec maestria la complexité des émotions humaines, à travers la métaphore d’un centre de contrôle sis dans le cerveau d’une jeune fille, Riley. Chaque émotion (Joie, Tristesse, Colère, Dégoût et Peur) se voit représentée par un personnage différent, qui interagit avec les autres pour influencer les réactions et les comportements d’une enfant en rupture avec son nouvel environnement. Pete Docter et Ronnie Del Carmen examinent les tenants d’une vie équilibrée et l’importance de chaque émotion dans la construction identitaire des individus.

Restons en bonne compagnie, avec Pete Docter. Tout aussi profond que Vice-VersaLà-haut (2009) traite du deuil, du regret et de l’espoir à travers l’histoire d’un vieil homme, Carl Fredricksen. Le film commence par une séquence mémorable, très touchante, qui raconte sa relation amoureuse avec Ellie, laquelle se termine par la mort de cette dernière et la solitude, abyssale, devenue insupportable, de Carl. En dépit d’une absence de dialogues, ce montage-séquence (parmi les meilleurs de l’histoire du cinéma) laisse pulser une grande variété d’émotions. 

Décentré, car procédant à travers des poissons, Le Monde de Nemo (2003) explore la peur et l’angoisse parentales à travers le voyage de Marlin pour retrouver son fils diminué par une nageoire atrophiée. Dans le même temps, Nemo, malgré son handicap physique, apprend à gagner en assurance et en indépendance.

On le voit, la représentation des émotions par Pixar est loin de s’avérer unidimensionnelle. Les films du studio illustrent à merveille la complexité et l’interdépendance des affects humains. Coco, Ratatouille et Soul auraient d’ailleurs pu être à nouveau cités, notamment au regard de la quête de réalisation personnelle qui anime leurs personnages : Remy doit se cacher pour assouvir sa passion pour la cuisine, Miguel préfère la guitare à la cordonnerie en dépit des injonctions familiales, Joe rêve de troquer son quotidien lénifiant d’enseignant contre une carrière enivrante dans le jazz. 

L’évolution de la société : une réflexion sur l’humanité 

Pixar ne se contente pas de peindre un portrait statique de l’humanité ; le studio incorpore dans sa filmographie les évolutions, en cours ou futures, de la société. Ces transformations mettent en tension l’individu et son environnement, reflétant les dynamiques complexes et changeantes de notre monde.

Wall-E (2008), exemple le plus emblématique, présente une vision dystopique de l’avenir, où la surconsommation a mené à l’abandon de la Terre par les humains. Le film questionne à la fois notre dépendance à la technologie (qui anesthésie l’homme du futur) et notre rapport indifférent et démissionnaire à l’environnement (qui correspond à peu près au moment présent). Andrew Stanton charpente, entre deux montagnes d’immondices, une critique du consumérisme et de la société du spectacle.

Les Indestructibles aborde la question des individus exceptionnels dans une société qui valorise la conformité. La famille Parr, dotée de pouvoirs super-héroïques, est contrainte de mettre ses talents sous cloche sous peine d’être ostracisée. Le film sonde les heurts entre le désir d’authenticité et d’accomplissement personnel et le besoin d’intégration sociale.

Sans avoir l’air d’y toucher, Cars (2006) peut de son côté être vu comme une réflexion sur le passage d’une société axée sur la communauté à une société où l’individualisme et la performance prévaudraient. Le film dépeint en effet un monde où l’ancienne Route 66 – synonyme d’une époque plus connectée et plus lente – est abandonnée au profit des autoroutes modernes. Le protagoniste, Flash McQueen, apprend dans la petite localité de Radiator Springs la valeur de la collectivité et de l’esprit sportif. Il finit par renoncer à ses rêves de grandeur pour préserver une forme d’éthique personnelle. 

Ces films montrent que Pixar n’évite pas les questions sociales et environnementales. Au contraire, le studio utilise sa filmographie pour susciter la réflexion et ouvrir le dialogue sur ces sujets, en les plaçant au centre d’œuvres populaires. Les histoires de Pixar, ancrées dans le présent ou tournées vers l’avenir, effeuillent la société et son devenir. C’est déjà, en quelque sorte, ce qu’établissait Toy Story dès 1995, à travers la rivalité entre Woody et Buzz : un monde en mutation, bouleversant les certitudes et requalifiant les individus à l’aune de nouvelles modes et prescriptions. 

Conclusion

Les représentations en vigueur dans l’univers Pixar sont un rappel constant que l’humanité n’a rien d’une entité homogène. Il s’agit d’une mosaïque de cultures, d’expériences et d’émotions. Sans rien sacrifier de sa capacité à divertir, avec certes plus ou moins de succès, Pixar parvient à nous faire réfléchir à notre propre humanité, et à ce qui la fonde. 

R.P.

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