
L’œuvre de René Magritte, peintre surréaliste belge du XXe siècle, est un riche terrain d’investigation pour qui entend en démystifier la signification. En adoptant une approche symbolique et sémiologique, on peut toutefois identifier en quoi les signes visuels de ses tableaux déjouent nos attentes et invitent à une réflexion sur la représentation et ses subversions surréalistes.
La Trahison des images, une rupture entre signifiant et signifié
La Trahison des images (1929) montre une pipe assortie du texte suivant : « Ceci n’est pas une pipe ». Contre-intuitif ? Pas vraiment. Magritte interroge la relation conventionnelle entre le signifiant (la représentation visuelle de la pipe) et le signifié (l’objet réel qu’est la pipe). La légende du tableau met en évidence la dissociation entre l’image et l’objet qu’elle représente. En l’espace d’un instant, le peintre belge se propose ainsi de sonder la nature de l’art lui-même.
Les Amants, de l’incongruité dans l’intimité
Dans Les Amants (1928), René Magritte présente deux personnes en train de s’embrasser, leurs têtes enveloppées de tissu. Les visages cachés – symboles habituels d’identité, de communication et d’émotion – suggèrent l’anonymat, l’aliénation, voire l’étouffement de l’intimité. La combinaison de la familiarité et de la tendresse (le baiser) avec l’incongruité et l’étrangeté (les visages voilés) instille une tension sémiotique qui déstabilise le spectateur et remet en question les attentes sociales et les normes.
Le Fils de l’homme : le déni du regard
Possible autoportrait tardif, Le Fils de l’homme (1964) prend rang parmi les œuvres emblématiques de René Magritte. Elle représente un homme en costume, en plan américain, le visage caché par une pomme flottante. Le visage, et en particulier les yeux, signes de subjectivité et d’identité, se dérobent au regard des spectateurs. Magritte déjoue ainsi le désir de voir et de comprendre, questionnant peut-être les limites de la connaissance et de la perception. Certains arguent que se nicheraient dans ce tableau les indices d’un traumatisme matriciel, lié au suicide de sa mère dans la Sambre.
La Condition humaine, l’illusion de la réalité
La Condition humaine (1933) immortalise une toile sur un chevalet qui représente exactement la partie du paysage que sa présence physique dissimule. Ici, Magritte joue avec l’idée de la réalité comme une construction et remet en question la distinction entre le réel et le représenté. En créant une continuité parfaite entre le paysage et sa représentation, l’artiste belge souligne que ce que nous percevons comme réel peut se révéler être une construction de notre esprit.
L’Empire des Lumières : le contraste comme tension sémiotique
L’Empire des Lumières (1954) est une série de tableaux à travers lesquels René Magritte juxtapose un ciel diurne et une scène nocturne terrestre. Le contraste évident entre le jour et la nuit, normalement mutuellement exclusif, crée une tension sémiotique, une irruption de l’irréel dans un contexte réaliste. Ce parti pris subvertit les attentes conventionnelles de temps et d’espace, générant une atmosphère d’étrangeté et de mystère qui interroge notre compréhension de la réalité.
La Durée poignardée, matérialisation duale du temps
Dans La Durée poignardée (1938), une locomotive émerge sur le manteau d’une cheminée, tandis qu’une horloge est posée sur sa console entre deux chandeliers. Magritte chercherait-il à matérialiser le concept abstrait du temps ? L’irruption impromptue de la locomotive symboliserait la marche inexorable du temps, quand l’impassible horloge rappellerait son caractère monotone et inébranlable. De nombreuses interprétations ont coexisté, mais il semblerait que l’énigme soit en réalité le véhicule de son propre message. Comprenez : le peintre surréaliste ne fait rien d’autre qu’énoncer le mystère en le portraiturant.
Une œuvre déroutante qui fait système
L’art de René Magritte est un défi sémiologique. Chaque image déjoue nos attentes, jette un voile sur les signifiants et les signifiés, remet en question nos hypothèses sur la représentation, l’identité et la connaissance. Bien qu’il soit difficile de comprendre avec précision comment ce maître du surréalisme appréhendait l’art, l’interprétation subjective de ses œuvres (et de ses récurrences) n’en reste pas moins un moyen de sonder les profondeurs de l’esprit humain et de la réalité elle-même.
J.F.

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