La Montgolfière de Berlin : fuir pour vivre 

Roberta Balestrucci Fancellu et Luogo Comune publient La Montgolfière de Berlin aux éditions Motus. Ils y narrent l’histoire de deux familles prêtes à tout pour quitter la RDA et rejoindre l’Allemagne de l’Ouest, deux territoires séparés par un mur hautement sécurisé.

Construit en 1961, le Mur de Berlin est né des tensions inhérentes à la Guerre froide, notamment entre les États-Unis et l’Union soviétique. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a été divisée en quatre zones d’occupation contrôlées par les Alliés. Berlin, bien que située dans la zone soviétique, a été fragmentée en plusieurs secteurs : l’Est était dominé par les communistes, tandis que l’Ouest était sous influence capitaliste. Berlin-Est a cependant subi, au fil des années, une forte émigration vers l’Ouest, ce qui a mené à des difficultés économiques et à une perte de main-d’œuvre qualifiée. En réponse, l’Administration soutenue par l’URSS a érigé un Mur visant à éradiquer cet exode et maintenir sous contrôle la population. 

Vivre à l’Est du Mur de Berlin, sous le régime de la République Démocratique Allemande (RDA), n’avait rien d’une sinécure. La Stasi, police secrète de l’État, s’immisçait fréquemment dans la vie des gens. Elle surveillait étroitement les activités des citoyens, y compris à travers des écoutes téléphoniques et des informateurs. Les voyages vers les pays non communistes étaient presque impossibles et l’économie battait de l’aile, avec des pénuries et des restrictions de toutes sortes, à laquelle le gouvernement est-allemand n’opposait qu’une propagande qui fanatisait les uns et exaspérait les autres. La Montgolfière de Berlin part de ce contexte pour narrer l’obstination et le désir de liberté de deux familles cherchant à fuir à l’Ouest pour échapper à une vie morose caractérisée par la peur et le manque.

« Une gigantesque muraille longue de 155 kilomètres coupait villages et champs, divisant le monde entre l’Est et l’Ouest. » Roberta Balestrucci Fancellu et Luogo Comune le font d’emblée comprendre à leurs lecteurs : il est dangereux, en Allemagne de l’Est, d’émettre la moindre critique contre le gouvernement communiste. La délation est monnaie courante, et des familles peuvent être déchirées pour avoir osé exprimer leurs idées, ou tenter de rejoindre les zones sous influence capitaliste. Pourtant, à l’aube des années 1980, deux familles, quatre amis, Doris, Peter, Günter et Pétra, entreprennent de faire le grand saut. Ils rassemblent le matériel nécessaire à la confection d’une montgolfière, passent des nuits entières à coudre, organisent une logistique complexe, pour mettre un terme à une existence douloureuse, sous contraintes. « Aucun d’entre eux n’envisageait de continuer à vivre sous le contrôle d’inconnus, d’hommes qui connaissaient leur vie mieux qu’eux-mêmes. Mais la nuit était encore longue, et ils avaient l’impression qu’ils pourraient bientôt toucher la liberté du doigt. »

Mais nous sommes à Berlin-Est. Chaque samedi, l’Alexanderplatz voit des militaires perquisitionner les quelques véhicules autorisés à pénétrer dans la zone. Au moindre soupçon, la Stasi peut diligenter une enquête sur n’importe qui, compromettre sa famille et sa liberté. Les quatre amis doivent hâter leurs préparatifs : madame Müller, leur voisine, a alerté les autorités. « On voyait des Moskvitch partout et, en ville, les contrôles étaient bien plus fréquents que d’habitude. À croire que la police secrète s’attendait à une attaque imminente. Une seule erreur, et leurs quatre enfants grandiraient dans un orphelinat de la RDA. » C’est dans l’urgence, assaillis par le doute et la peur, que Doris et Peter, aidés par Günter et Pétra, réalisent un second vol, après l’échec de leur première tentative. Sera-ce le bon ?

Une double page résume très bien les enjeux à l’œuvre : d’un côté, Roberta Balestrucci Fancellu et Luogo Comune nous montrent un atelier de couture improvisé dans lequel s’affairent les fuyards, et de l’autre, ils dévoilent les méthodes d’espionnage de la Stasi, qui tournent à plein régime. La Montgolfière de Berlin est une ode à la liberté. Il rappelle que le bonheur se trouve dans les choses simples, auxquelles on ne songe même plus : pouvoir vivre, circuler, penser et s’exprimer librement, sans craindre d’éventuelles représailles politiques et policières. Doris, Peter, Günter et Pétra n’aspiraient à rien de plus, mais ils ont dû mettre en péril leur vie et leur famille pour pouvoir y accéder. 

J.F.


 La Montgolfière de Berlin, Roberta Balestrucci Fancellu et Luogo Comune –

Motus, avril 2024, 96 pages

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