
Ian Gallagher et Mickey Milkovich, deux enfants terribles du South Side de Chicago, un couple que Shameless US refuse d’emballer proprement. Leur histoire, c’est de l’amour à vif, brut de décoffrage, qui trébuche régulièrement.
(Cet article est réservé à ceux qui ont vu l’intégralité de la série.)
La télé américaine a longtemps traité les couples LGBTQ+ comme des vitrines : regardez comme on est progressistes. Des personnages tout lisses, présentés avec des pincettes. Shameless fait l’inverse. Ian et Mickey viennent de quartiers où personne n’a les moyens de réfléchir à son identité tranquillement, encore moins de la célébrer. On y vivote plus qu’on y vit, et le virilisme y est davantage scandé que la tendresse.
Mickey n’est pas là pour rassurer qui que ce soit : c’est un gosse déjà cassé, fils d’un père violent, homophobe et consanguin, qui crache son racisme à la gueule du monde. Ses premiers rapports avec Ian se forment sur fond de brutalité. C’est à peine s’ils ne couchent pas ensemble en se tenant en joue. Il n’y a rien de romantique là-dedans. Juste deux mômes qui survivent comme ils peuvent. Ian sait déjà qui il est. Mickey, lui, n’a même pas le droit d’y penser.
Et pour cause. Apprenant l’homosexualité de son fils, Terry force Mickey à coucher avec une prostituée russe devant Ian. La séquence est glaçante. Elle montre jusqu’où va le contrôle sur un corps, sur une identité, dans un milieu criminel où les apparences doivent à tout prix être sauvées. C’est ainsi que Mickey se retrouve marié de force à Svetlana, père d’un enfant qu’il n’a pas voulu. Le mensonge n’a rien d’un choix, c’est sa seule façon de rester en vie, de ne pas finir dévoré par la meute.
Pendant ce temps, Ian bascule dans le trouble bipolaire. Tardivement diagnostiqué, mal géré même après. La série ne simplifie rien : les phases maniaques, les ruptures de traitement, l’épuisement de ceux qui restent. Trevor, Caleb, quelques histoires qui comptent, mais qui demeurent à l’arrière-plan de « Gallavich », mot-valise qui donnera son nom à un épisode.
Et puis, le déclic : il y a cette scène dans le bar de Kev, quand Mickey gueule enfin ce qu’il ressent pour Ian. Pas un coming out triomphant, plutôt une explosion de rage et de colère. Il ne dit pas « Je suis gay », il confesse à tous qu’avec Ian, il se sent libre. Cette scène, cardinale, vaut tous les discours bien rodés du monde. Malgré l’hostilité des Milkovich, en dépit de tous leurs défauts mutuels, ces deux-là sont faits pour être ensemble et s’aimer.
Rien n’est réglé pour autant. Mickey va en prison. Les visites derrière une vitre ont cette lourdeur des couples séparés par un système qui les écrase. Quand Mickey s’échappe pour partir au Mexique et que Ian refuse de le suivre, les deux ont raison. À leur façon. Ian veut une vie stable, son traitement, un boulot. Mickey veut juste retrouver l’homme qu’il aime. Personne n’a tort, leurs chemins ne se croisent plus, c’est tout.
Leur retour est toutefois en gestation. Ils se désirent toujours, oui, mais ils ont changé, grandi, appris à vivre l’un sans l’autre. Ian est en couple. Mickey revient du Mexique différent, plus lucide. Ils se retrouvent petit à petit, entre engueulades et rapprochements. Normal : les amours adultes ne renaissent jamais d’un coup.
Leur mariage demeure l’une des plus belles scènes de la série. Parce que c’est interdit, parce que c’est le bordel. Une salle moche, une propriétaire roulée dans la farine, une protection arc-en-ciel face aux menaces de Terry, Debbie en fausse mariée éplorée, Kev vigie avec une batte. Ce chaos dit plus de choses vraies qu’une cérémonie impeccable.
La dernière saison les montre mariés. Pas en lune de miel, non : en train de se disputer sur l’argent, la vaisselle, l’avenir. Personne ne résout tout ça en une conversation. Ils tâtonnent, s’écoutent (parfois), se lassent, reviennent. Leur boîte de sécurité part en vrille régulièrement, mais ils recommencent. Cette banalité du quotidien, c’est presque révolutionnaire à la télé : montrer des couples homosexuels dans l’ordinaire, pas seulement dans le spectaculaire ou le tragique.
Ian reste bipolaire, parfois imprudent. Mickey reste un délinquant colérique au cœur immense. Ils veulent gagner leur croûte mais s’écharpent sur les méthodes à employer. Tous deux restent en conditionnelle. Leur amour ne corrige rien, il fait avec. La série montre aussi leur sexualité sans en faire un plat ni un tabou. Juste deux corps qui se veulent, comme n’importe quel couple. Des élans, du cru, un peu de tendresse.
Shameless leur donne quelque chose de rare : le droit d’être humains, irréguliers, imparfaits. C’est peut-être ça, le vrai progrès.
Jonathan Fanara

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