Chère Marilyn : sous le vernis

« Elle fut à la fois la victime et l’architecte du système hollywoodien : une actrice utilisée pour vendre du rêve, mais qui parvint, par un geste de lucidité, à se réapproprier son image. Son sourire, son corps, sa jupe soulevée : tout cela, aujourd’hui encore, irrigue la culture pop, mais à l’époque, c’était un manifeste : une femme affirmant son existence dans un monde d’hommes. Un microcosme qu’elle a su apprivoiser, avec talent et détermination. »

À l’occasion du centenaire de la naissance de Marilyn Monroe, les éditions Glénat publient Chère Marilyn, un ouvrage somptueux, grand format, qui réunit plus de 250 clichés et des fragments de mémoire d’un homme qui regardait la comédienne star non comme un sex-symbol ou un mythe, mais bien comme une femme sensible, pétillante et cultivée. Ce livre restitue la vérité d’un regard : celui d’un photographe qui fut aussi un ami, un témoin et un confident fidèle.

Chère Marilyn est un objet à part. Grand format (29 × 33 cm), reliure sobre et élégante, plus de deux cents cinquante photographies, dont certaines jamais publiées. Il s’agit, avant tout, d’un livre de mémoire visuelle, un double récit, photographique et textuel, où chaque image semble dialoguer avec la parole intérieure de Sam Shaw.

Les lettres et fragments de texte, tirés des archives de la Fondation Shaw Family, forment une trame intime, presque diaristique. Sam Shaw y raconte les tournages, les coulisses, les attentes, les repas, les rires, les silences. Il y parle d’une Marilyn non cantonnée aux studios, mais captée à la volée dans l’air de New York, sur les plages d’Amagansett, dans les loges, ou simplement en marche dans la rue, souvent devant des badauds curieux et conquis.

Scène après scène, Chère Marilyn déroule l’histoire d’une amitié, d’une époque, d’une carrière en construction. Entre Sam Shaw et Marilyn Monroe, il y eut d’abord la curiosité, puis la confiance, et enfin une forme d’affection mutuelle. Ils se rencontrent sur le tournage de Viva Zapata!, à l’époque où Marilyn n’était encore qu’une étoile en devenir. Très vite, le photographe comprend qu’elle est différente : elle rit de tout, s’intéresse à la littérature, à la politique, aux gens simples. Elle ne cherche pas à le séduire, elle s’ouvre à lui.

Cette amitié ne fut jamais mondaine : elle est de connivence, pas de stratégie. Sam Shaw la photographie avec la tendresse d’un ami qui n’attend rien, sinon la vérité du moment. Il saisit Marilyn au naturel, démaquillée parfois, dans son appartement new-yorkais, en robe d’été, lisant The New York Times sur un banc de Central Park. Ces images contrastent avec la mythologie hollywoodienne : ici, le glamour, bien qu’indissociable de la comédienne, cède volontiers la place à l’humanité, voire l’humour.

Témoin de ses amours avec Joe DiMaggio puis Arthur Miller, le photographe ne la juge jamais. Il comprend ses fragilités, sa quête de légitimité artistique, sa volonté d’exister hors du cadre étroit des studios. Leur relation, d’une loyauté rare, résiste à tout – aux malentendus, aux éclats de la presse, au temps qui passe. Et jusque dans les dernières années, Sam Shaw reste cet ami discret qui, sans illusion ni renoncement, continue de la photographier comme on écrit une lettre qu’on ne veut jamais vraiment finir.

On retrouve dans l’ouvrage la fameuse séquence de la jupe soulevée par le vent, devenue image planétaire, mais restituée ici dans sa vérité d’origine – non un instant volé, mais une composition pensée à deux, une collaboration entre photographe et actrice, entre regard et geste. On y décèle surtout la complexité radieuse de Marilyn Monroe. Car sous l’apparente ingénue se cachait une femme cultivée, intuitive, ironique, d’une curiosité sans fin. Sam Shaw la décrit lisant Shakespeare, parlant de Dostoïevski, s’interrogeant sur la méthode de Stanislavski avec les élèves de l’Actors Studio. Marilyn voulait comprendre ce qu’elle faisait, pourquoi un geste est juste, par quel(s) mécanisme(s) un regard émeut. Elle avait une conscience aiguë de son image, mais ne s’en servait pas pour manipuler. Plutôt pour se protéger, ou jouer avec les codes.

Dans ses photos, on la voit tour à tour femme-enfant, amoureuse, intellectuelle, provocante, pudique. Ce kaléidoscope compose un seul visage : celui d’une femme qui a voulu tout être, et qu’on n’a su voir qu’à moitié. Sam Shaw insiste d’ailleurs : son légendaire retard sur les plateaux n’était pas un caprice, mais une sorte d’acte de résistance. C’était sa manière de ralentir le temps, de reprendre possession de sa personne face à l’industrie. 

Et justement, l’un des mérites du livre est de replacer Marilyn dans le contexte de l’Amérique d’après-guerre, entre puritanisme et modernité, patriarcat et culture de masse. Elle fut à la fois la victime et l’architecte du système hollywoodien : une actrice utilisée pour vendre du rêve, mais qui parvint, par un geste de lucidité, à se réapproprier son image. Son sourire, son corps, sa jupe soulevée : tout cela, aujourd’hui encore, irrigue la culture pop, mais à l’époque, c’était un manifeste : une femme affirmant son existence dans un monde d’hommes. Un microcosme qu’elle a su apprivoiser, avec talent et détermination.

Marilyn Monroe fut la première à comprendre la puissance du visuel comme langage politique. Elle a inventé la star moderne, consciente de son pouvoir médiatique, dialoguant avec la presse, jouant de sa sensualité comme d’un signe ironique. En créant sa propre société de production, en choisissant ses rôles, elle a ouvert la voie à d’autres actrices-productrices : Jane Fonda, Barbra Streisand, Reese Witherspoon – qui lui doivent beaucoup plus qu’on ne le pense.

Sam Shaw photographie le moment où la légende se fabrique. Et c’est peut-être cela, le plus bouleversant : voir sous nos yeux une femme se transformer en symbole, sans jamais renoncer à ce qui la constitue fondamentalement.

Fiche produit Amazon

Jonathan Fanara


Chère Marilyn, Sam Shaw – Glénat, 22 octobre 2025, 240 pages


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