« Le titre n’est pas trompeur : Quelque chose de beau est bien une quête esthétique, éthique. Benjamin refuse le cynisme ambiant. Il veut aimer autrement, vivre à sa manière, donner du sens à des gestes qui paraissent dérisoires mais qui, répétés, s’inscrivent dans une forme de résistance. »
Avec Quelque chose de beau, paru aux éditions L’école des loisirs, Julie Rey poursuit sa radiographie de l’adolescence. Après l’excellent No Kids, roman fragmentaire et polyphonique, elle opte ici pour une narration plus linéaire, confiée à une seule voix, celle de Benjamin Prade. Le récit gagne en simplicité, mais il conserve toutefois la même exigence d’authenticité. L’auteure ne s’intéresse pas tant aux grandes péripéties qu’aux micro-secousses du cœur adolescent, ces instants doux-amers où se cristallisent les désirs, les colères et même les contradictions.
Benjamin, 16 ans, a tout du garçon qui détonne dans une classe de seconde où l’on parade bien plus qu’on ne s’écoute. Pendant que ses camarades alignent conquêtes et fanfaronnades viriles, lui se cache à six heures du matin dans une poubelle pour remettre clandestinement une lettre à la fille qu’il aime secrètement. Julie Rey donne une épaisseur bienvenue à son jeune protagoniste : maladroit et angoissé, il agit souvent avec une conviction et une sensibilité têtues. Il refuse le sexe réduit à une performance, il revendique le slow love avec Alicia, celle dont il est amoureux, il se désole des rodomontades de ses camarades d’école et se sent sali par les gestes impudiques d’une fille bien trop entreprenante à son goût. Que ce soit dans ses hésitations, dans ses emballements ou dans ses attaques de panique, tout exprime chez lui une autre manière d’être un garçon aujourd’hui : vulnérable mais déterminé, exposé mais lucide.
Autour de lui gravitent trois figures essentielles. Alicia, d’abord, celle qu’il convoite ardemment et auprès de qui il s’épanouit ensuite. Elle incarne une certaine vision du féminisme et l’engagement social. Puis, Enzo, l’ami d’enfance, le quasi-frère, séducteur invétéré mais éternellement meurtri par le deuil de sa mère. Enfin, Taieb, l’ado un peu régressif, qui confronte sommairement Benjamin au poids du rigorisme religieux et de l’influence fraternelle. Cette constellation dessine une première cartographie de la jeunesse contemporaine, complétée par des individus comme Lalande, machistes et obtus. Et s’il y a bien des tensions, tant intérieures qu’extérieures, Julie Rey s’attache moins à les résoudre qu’à en exposer les effets, laissant transparaître la complexité de chaque trajectoire, individuelle comme collective.
Pour Benjamin, une ombre plane aussi du côté de la cellule familiale. Un père parti en Argentine refaire sa vie, une mère dépressive et ce vide parental qui explique en partie ses angoisses. Le roman fait coexister ces blessures souterraines avec les écueils du quotidien lycéen : les moqueries d’un Lalande, la peur de la première fois, le poids du regard des autres… Ce dernier est d’ailleurs exacerbé quand le jeune protagoniste passe pour un salaud aux yeux de tous : son ex a fait courir des bruits à son sujet laissant penser qu’il l’aurait abandonnée après avoir profité d’elle.
Il est à noter que, comme dans No Kids, Julie Rey se montre attentive à la texture même de la narration. Elle ponctue le récit d’extraits de SMS ou de conversations avec ChatGPT. Le procédé donne une allure très contemporaine au texte : il rend tangible la manière dont les adolescents mettent en mots leurs fragilités ou leurs doutes à travers les supports numériques. Cela renforce l’impression d’un roman écrit conformément à son époque, sans filtre, au plus près de la voix adolescente.
Le titre n’est pas trompeur : Quelque chose de beau est bien une quête esthétique, éthique. Benjamin refuse le cynisme ambiant. Il veut aimer autrement, vivre à sa manière, donner du sens à des gestes qui paraissent dérisoires mais qui, répétés, s’inscrivent dans une forme de résistance. La beauté n’est pas une abstraction ; elle s’incarne dans le soutien (parfois contraint) envers sa mère, une affiche collée à la sauvette, un moment partagé avec Alicia. Le jeune homme défend, sans vraiment le revendiquer, une masculinité fragile, respectueuse et attentive.
No Kids questionnait le militantisme écologiste et la fécondité des luttes passées. Quelque chose de beau s’attache davantage à l’intime et au présent immédiat. Mais l’intention reste la même : interroger une génération à travers ses contradictions, ses combats quotidiens et ses désirs plus vastes. Julie Rey met en récit et parvient à saisir ce moment fragile où les adolescents deviennent véritablement sujets.
Jonathan Fanara

Quelque chose de beau, Julie Rey – L’école des loisirs, septembre 2025, 352 pages

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