« Le diagnostic psychiatrique constitue un acte complexe et réservé aux troubles avérés, pas aux aléas de l’existence. Le Dr Masson dénonce la banalisation actuelle des diagnostics, encouragée par certains réseaux sociaux et gourous du bien-être, qui brouille la frontière entre mal-être ordinaire et pathologie. La psychiatrie ne consiste aucunement à psychiatriser le quotidien. La mesure, dans la gradation et la temporalité, y fait loi. »
La psychiatrie… D’un mot, une avalanche d’images surgit. Le cliché du médecin autoritaire en blouse blanche, des traitements chimiques qui « zombifient », l’hôpital en dernier recours, des diagnostics à la louche… L’essai du Dr David Masson, Santé mentale : ce que peut vraiment la psychiatrie (Éditions du Détour) est éclairant quant aux réalités d’une discipline souvent mal comprise. Pour en attester, nous avons entrepris de démonter certaines idées préconçues en nous basant sur ses démonstrations… Liste non exhaustive.
« La santé mentale, c’est l’affaire des psys »
Faux. Si la psychiatrie est l’une des disciplines qui s’y consacrent, la santé mentale est en réalité bien plus vaste : elle désigne un état de bien-être global permettant à chacun de réaliser son potentiel et de traverser plus ou moins sereinement les épreuves de la vie. Le Dr Masson évoque la « boussole de la santé mentale », dont l’aiguille oscille selon des facteurs personnels, sociaux et environnementaux. Cela va des conditions socioéconomiques à l’estime de soi en passant par les compétences intrinsèques ou le milieu familial et professionnel. Un équilibre fragile, à entretenir au quotidien, bien au-delà du seul champ médical.
« Être heureux est une norme de santé mentale »
Encore faux. Le livre pointe d’ailleurs un risque majeur : l’injonction au bonheur. Derrière certaines définitions de la santé mentale, l’auteur repère une tendance à pathologiser toute émotion négative. Or tristesse, anxiété ou colère sont des signaux précieux de notre rapport au monde. Leur nier toute légitimité reviendrait à annihiler une part fondamentale de notre humanité.
« La peur, émotion du danger, a pour fonction vitale de l’anticiper et de l’éviter. La colère, émotion de l’injustice, permet de reconnaître des droits bafoués et de donner l’énergie de les défendre. Le dégoût, quant à lui, a pour utilité de nous tenir éloigné de ce qui pourrait être nuisible à notre être, que ce soit par rapport à une substance ou, plus largement, à des aspects moraux. Elles sont toutes les trois désagréables à ressentir, même parfois décriées (comme la colère), mais les messages qu’elles nous fournissent nous sont nécessaires pour réagir et nous adapter, comme un voyant qui s’allume sur un tableau de bord de voiture. »
« Les psys veulent nous coller une étiquette à la moindre émotion »
Le diagnostic psychiatrique constitue un acte complexe et réservé aux troubles avérés, pas aux aléas de l’existence. Le Dr Masson dénonce la banalisation actuelle des diagnostics, encouragée par certains réseaux sociaux et gourous du bien-être, qui brouille la frontière entre mal-être ordinaire et pathologie. La psychiatrie ne consiste aucunement à psychiatriser le quotidien. La mesure, dans la gradation et la temporalité, y fait loi.
« Les troubles psychiques empêchent toute vie normale »
C’est peut-être ici que l’ouvrage se montre le plus limpide. Le concept de rétablissement, pilier de la psychiatrie moderne, remplace celui de guérison totale. Il ne s’agit donc pas d’effacer les troubles comme on ôterait un kyste, mais de permettre à la personne concernée de mener une vie épanouie avec, et au-delà, de ses difficultés. Le rétablissement s’appuie sur quatre dimensions : clinique, fonctionnelle, sociale et existentielle. C’est un chemin, pas un verdict. Même semé d’embûches, il n’oppose aucun interdit à l’accomplissement et l’épanouissement personnels.
« Les médicaments psychotropes abrutissent les patients »
Un préjugé tenace, pour partie alimenté par l’industrie audiovisuelle, de Vol au-dessus d’un nid de coucou à L’Armée des 12 singes. Les psychotropes, bien prescrits et surveillés, ne sont finalement que des outils parmi tant d’autres. Loin de « zombifier », ils permettent souvent aux patients de retrouver un équilibre, de réduire la souffrance aiguë et de progresser vers un mieux-être. Leur usage doit être nuancé et adapté, loin des clichés sensationnalistes ou des raccourcis sur leur supposée dangerosité.
« En psychiatrie, le médecin décide de tout »
Encore raté. Le modèle paternaliste appartient désormais au passé. Aujourd’hui, la relation thérapeutique doit être fondée sur le respect, l’écoute active et l’autonomie du patient. L’auteur souligne l’importance d’une approche collaborative, où le patient devient pleinement acteur de son parcours. Un postulat qui transforme le soin, le rendant plus humain, plus éthique. Cependant, la discipline n’a parcouru qu’une partie du chemin escompté.
« Si, aujourd’hui, l’équilibre vers une meilleure prise en compte de la parole des personnes concernées en tant que citoyens à part entière accompagne le paradigme du rétablissement, il ne faut pas non plus négliger les anticipations et méfiances vis-à-vis des professionnels de psychiatrie, du côté des patients. Le consentement même exprimé comme tel est-il toujours vraiment libre ? Pour certains patients, il semble encore impossible de dire « non » à un psychiatre, même s’ils sont profondément en désaccord avec ses propositions, de peur des conséquences pressenties comme néfastes. »
« La psychiatrie n’a que l’hôpital pour solution »
Loin de là. La majorité des soins psychiatriques s’effectue en ambulatoire. Le spectre thérapeutique est vaste : psychothérapies (TCC, ACT, TCD…), remédiation cognitive, techniques innovantes (rTMS, ECT), psychoéducation, sans oublier l’intégration de l’activité physique. De plus, des approches communautaires (CLSM, programmes « Un chez-soi d’abord ») et des métiers émergents (pair-aidance, infirmiers en pratique avancée) enrichissent le champ de la psychiatrie moderne.
« Le système de soins psychiatriques est figé »
Le tableau n’est pas rose – pénurie de psychiatres, inégalités d’accès, délais trop longs – mais la dynamique de transformation est bien réelle. Le livre en témoigne : formation aux premiers secours en santé mentale, recours à la téléconsultation, développement d’applications et de dispositifs hybrides… La psychiatrie évolue, parfois en silence, mais sûrement.
« Les troubles psychiques sont honteux »
On a vu qu’ils n’empêchent pas de vivre sereinement ni de mener à bien ses projets. La stigmatisation reste pourtant l’un des plus grands freins au rétablissement. L’ouvrage montre combien elle ajoute à la souffrance ; comment elle isole et dévalorise. Briser ces représentations – y compris dans notre propre langage (« T’es schizo », « T’es bipo ») – demeure un combat essentiel pour une société plus inclusive.
« Tout le monde est un peu dépressif ou un peu autiste »
Cette trivialisation des troubles est alimentée par une surmédiatisation et même, parfois, une récupération politique. Elle dessert malheureusement les personnes concernées. Elle dilue la gravité de certains troubles et mine la crédibilité des diagnostics sérieux. Non, tout le monde n’est pas, par exemple, « un peu bipolaire » après un chagrin d’amour. Il faut lutter contre ces idées, comme face à la romantisation de certaines affections, très en vogue sur les réseaux sociaux (TDAH, notamment). Car comme le note David Masson : « L’idéalisation risque de renforcer les stéréotypes en diffusant les caricatures et les représentations déformées de certains troubles : la bipolarité n’est pas juste des sautes d’humeur, ou la dépression, un état de tristesse. »
En définitive, Santé mentale : ce que peut vraiment la psychiatrie nous invite à reconsidérer nos croyances sur la santé mentale. Avec pédagogie, le Dr David Masson montre que la psychiatrie ne se résume ni aux pilules et camisoles, ni aux diagnostics expéditifs. C’est une médecine exigeante, au service de la personne, qui cherche à accompagner le rétablissement avec respect et humanité.
Jonathan Fanara

Santé mentale : ce que peut vraiment la psychiatrie, Dr David Masson –
Éditions du Détour, 28 août 2025, 224 pages

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