
Ici, la Bretagne n’est pas un décor, c’est un personnage. Un être multiple, changeant, tour à tour malicieux, rugueux, lumineux ou mélancolique. Avec Bon vent !, publié aux éditions Glénat, François Ravard s’adonne à une déclaration d’amour graphique à cette terre à laquelle il appartient. L’auteur de bandes dessinées dinardais, fort d’un trait sensible et d’un humour à rebonds discrets, mêle l’acuité à la contemplation, le rire à la poésie. Il croque la Bretagne à hauteur d’homme, avec le supplément d’âme de celui qui regarde longtemps, qui connaît, qui aime.
Toujours à l’aquarelle, avec ses couleurs franches et tendres, François Ravard nous promène à travers plages et sentiers, cabines de bain, criques secrètes, gares ou falaises, traquant ces « petits riens » qui dessinent notre manière d’être au monde, seul ou ensemble. Ce recueil d’une soixantaine d’illustrations scrute plus spécifiquement la Bretagne, avec un humour qui naît souvent du décalage.
Dans « Paris plage », une vacancière en tenue balnéaire se retrouve, incongrue et stoïque, au milieu d’un wagon de métro ; c’est toute la poésie d’un rêve d’évasion qui s’invite dans la trivialité urbaine. Dans « Le sudiste », on retrouve un homme emmitouflé qui marche parmi les baigneurs – clin d’œil affectueux au choc thermique et surtout culturel entre les régions.
L’humanité affleure souvent dans des gestes minuscules. Dans « Pêche au trésor », François Ravard orchestre une chorégraphie de corps penchés, un ballet de seaux, de râteaux et de filets, dans une marée basse devenue terrain de fouille archéologique. Dans « Routine matinale », un homme s’étire face à la mer, vu depuis l’intérieur d’un cabanon de plage en désordre. L’exigu intérieur et le vaste extérieur cohabitent dans un même plan programmatique.
Bon vent ! sait aussi se faire tendre. « Esprit constructif » montre un enfant dessiner une maison sur le sable hivernal sous une légère neige. L’image est relativement simple, mais ce qu’elle énonce – le besoin de construire, même éphémèrement, quelque chose de familier – touche à l’universel. « L’échappée » offre un point de vue en retrait : deux vélos abandonnés semblent s’entrelacer à l’instar de leurs propriétaires, deux amants qui s’embrassent dans une crique. Le point de vue adopté est celui d’un promeneur indiscret, qui fait sienne l’intimité d’un tel instant.
Chez François Ravard, la Bretagne n’est pas carte postale. Elle est traversée de vie, d’incongruités, de mouvements. Dans « Sortie de route », un homme et son jet-ski échoués sur le sable trahissent de manière pathétique l’envie d’aller trop vite. « Canicule » entreprend d’inverser les codes estivaux : sur la plage, les serviettes sont toutes vides sauf une, densément peuplée d’êtres cherchant l’ombre sous un unique parasol.
Même lorsqu’il s’agit de caractériser un artiste, dans « L’incompris », le dessinateur injecte ce qu’il faut de dérision : face à un paysage naturel de grande beauté, un peintre moustachu et bohème s’échine à produire une œuvre abstraite et géométrique, totalement déconnectée des éléments qui l’entourent. Derrière lui, un chien l’observe, manifestement interloqué. Même élan avec « Devoirs de vacances », peut-être le dessin le plus symptomatique de notre époque : un homme flotte sur une bouée-donut, portable sur les genoux, visière sur la tête. Le monde balnéaire autour de lui est immense, mais il reste rivé à son écran. Un gag visuel faisant office de constat lucide sur notre incapacité à décrocher.
Préfacé par Zep, Bon vent ! est un carnet de croquis magnifiquement pensés. Mieux : un journal visuel à ciel ouvert, un témoignage affectueux sur une région, une culture du bord de mer et les comportements humains associés. Le titre de l’album lui-même sonne comme un souhait, une formule de passage, offerte à qui tourne la page, part en promenade ou rentre chez soi. Ce que François Ravard nous souffle, c’est que le vent breton, parfois moqué, est aussi celui qui transporte, caresse, décoiffe – et inspire.
J.F.

Bon vent !, François Ravard – Glénat, juillet 2025, 96 pages

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