À la rencontre du Literary Brat Pack

Au cœur du Manhattan des années 1980, un groupe de jeunes auteurs américains s’impose comme les nouveaux prodiges de la scène littéraire. Le « Literary Brat Pack » – Jay McInerney, Bret Easton Ellis, Tama Janowitz, Donna Tartt et Jill Eisenstadt – cultive un style de vie hédoniste aussi flamboyant que ses récits, en rupture totale avec l’image traditionnelle et un peu trop lisse de l’écrivain solitaire. Retour sur une ascension fulgurante, des nuits électrisantes et un héritage qui continue de façonner la littérature contemporaine.

Imaginez un Manhattan illuminé au néon, où le cliquetis des verres se mêle aux rires dans des bars branchés comme l’Odeon ou le Raccoon Lodge, pendant que des silhouettes élégantes glissent dans l’obscurité de l’Area, un club en vogue. Coutumière de cet éclatant théâtre nocturne, une petite troupe d’écrivains fait irruption sur le devant de la scène médiatique, brisant l’image et les codes habituellement associés à la littérature américaine. Jay McInerney, Bret Easton Ellis, Tama Janowitz, Donna Tartt et Jill Eisenstadt – rapidement baptisés par les médias le « Literary Brat Pack » – deviennent aussi célèbres pour leurs escapades festives que pour leurs écrits cyniques.

On les compare vite aux stars hollywoodiennes du « Brat Pack », ces jeunes acteurs à la mode. Ici, pas d’Emilio Estevez ou de Rob Lowe, mais des stylos aiguisés et des pages noircies de récits irrévérencieux à la première personne. Au petit matin, on les aperçoit encore assis autour d’une table de bar, la tête pleine d’idées pour leurs prochains chapitres, des anecdotes à recueillir et raconter jusqu’à l’aube. 

Tout est allé très vite. L’industrie du livre est alors en pleine réinvention. Leurs romans décrivent une jeunesse dorée, désabusée, shootée au désenchantement, qui noie son mal-être dans l’alcool, la drogue et les fêtes sans fin. Dans Journal d’un oiseau de nuit, Jay McInerney immerge le lecteur dans un tourbillon nocturne où la ville se fait personnage à part entière. Bret Easton Ellis, découvert par l’influent professeur Joe McGinniss, frappe fort avec Moins que zéro, roman incisif sur des adolescents de Los Angeles prisonniers d’un univers de privilèges et de solitude. Tama Janowitz, souvent croisée à l’Odeon avec Andy Warhol, puise dans sa propre expérience pour nourrir son livre American Dad. Opulence vaine, perte de connexion humaine, paradis artificiels : tout est énoncé plus que dénoncé.

À la publication de ces œuvres, certains critiques voient rouge : comment de si jeunes auteurs, adeptes des nuits blanches, peu enclins aux conventions, peuvent-ils prétendre au rang de grands écrivains ? On reproche au « Literary Brat Pack » son goût pour le scandale, son insolence et ses excès. Mais pour un public avide de nouveautés et d’énergie rock’n’roll, ils deviennent instantanément des icônes. Décadents pour les uns, géniaux pour les autres, en somme.

Au-delà de leurs romans, la réputation de ces écrivains s’appuie sur leurs frasques nocturnes : pressés de vivre, curieux de tout, ils surgissent dans la vie new-yorkaise comme des météores flamboyants. L’auteur réservé, mal dans sa peau, pas toujours avenant a été troqué pour quelque chose de plus fascinant, haut en couleurs et sans concession. Leur quotidien entre cocktails, soirées arty et photos de magazines semble alors incarner l’esprit même des années Reagan : un mélange de prospérité, de superficialité, mais aussi d’inconfort latent et de désillusion. Tout ce qui fera la sève d’American Psycho, la sociopathie en moins.

Pourtant, aussi vive que fut la flamme, elle ne pouvait que vaciller. Le temps fait son œuvre : la fatigue, les excès, l’adversité critique et la découverte de nouveaux talents littéraires sonnent progressivement la fin du « Brat Pack ». Les membres eux-mêmes évoluent, s’éloignent de la surenchère médiatique. Les années 80 s’achèvent, emportant avec elles la démesure fiévreuse et l’ivresse de la jeunesse. Il en reste cependant des œuvres marquantes, parfois magistrales, qui continuent de trouver des lecteurs conquis par l’audace et l’authenticité d’une écriture crue, directe, sans fard.

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R.P.

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