Rachel Zekri : « Il est crucial de définir quel message on souhaite transmettre »

Dans Mise en scène et coordination de l’intimité, Rachel Zekri s’affranchit du seul cadre du manuel de bonnes pratiques : elle déploie une pensée structurée, politique et profondément éthique de l’intime à l’œuvre, de la représentation des scènes sensibles. À rebours des incarnations floues, brutales ou prétendument spontanées, son ouvrage trace des lignes claires, balisées, où la narration rencontre le consentement, et où la technique devient l’alliée de la sécurité des parties prenantes. Chorégraphe discrète de gestes souvent tus, elle redéfinit ce que « jouer » veut dire lorsque le corps devient territoire fictionnel. Conscients de l’importance de ces enjeux, nous avons voulu poursuivre la conversation avec l’auteure.

Votre livre est présenté comme une réponse concrète à l’ère post-#MeToo, où il manquait d’outils pratiques pour encadrer les scènes intimes. Qu’est-ce qui vous a motivée à écrire Mise en scène et coordination de l’intimité maintenant, et quel manque spécifique dans les pratiques actuelles souhaitiez-vous combler avec cet ouvrage ?

J’ai toujours eu à cœur de transmettre mes connaissances et mon expérience en tant que pédagogue, une passion que j’ai partagée en dirigeant une école de théâtre pendant plusieurs années. Pour moi, la transmission est un aspect fondamental de mon passage en tant qu’être humain sur cette Terre. C’est dans cet esprit de partage que j’ai ressenti le besoin d’écrire Mise en scène et coordination de l’intimité. En tant que coordinatrice d’intimité professionnelle et première formatrice en France dans ce domaine, j’ai constaté un manque flagrant d’outils pour encadrer les scènes intimes, tant dans les projets audiovisuels que dans les arts vivants. Il est essentiel, à mon avis, d’offrir des solutions concrètes pour que chaque projet, quel que soit son budget, puisse aborder ces questions avec respect et sécurité. Mon livre a pour but de combler ce manque en fournissant des outils qui permettront d’améliorer les pratiques et de les rendre plus respectueuses et adaptées aux besoins de chacun.e.

Votre guide aborde de façon très technique une multitude de situations – chorégraphier un baiser ou une scène d’amour, simuler des actes sexuels, travailler avec des mineur·es, des personnes LGBTQ+ ou en situation de handicap, mettre en scène des scènes de non-consentement, etc. Quelle philosophie ou méthodologie générale sous-tend l’ensemble de votre approche de la coordination d’intimité ?

Plus qu’une philosophie, mon approche repose sur une idéologie de diversité et d’inclusion. Cela signifie que chaque individu et chaque situation sont pris en compte de manière unique et respectueuse. Ma méthodologie s’articule autour de deux axes principaux. D’abord, la dramaturgie, qui est le cœur de chaque scène. Il est crucial de définir quel message on souhaite transmettre et comment chaque action sert l’histoire et les personnages. Cela guide la mise en scène de manière cohérente et significative. Ensuite, il y a l’aspect technique. Cela inclut l’utilisation de méthodes précises et structurées pour chorégraphier les scènes intimes, comme on le ferait pour une scène de combat. Cela signifie que les mouvements sont planifiés et répétés pour garantir la sécurité et le confort de toustes les participant.es, tout en restant fidèle à l’intention artistique de la scène.

La coordination d’intimité est un métier apparu récemment et devenu beaucoup plus visible après l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo. Comment décririez-vous l’évolution de ce métier ces dernières années, et la manière dont il est (ou n’est pas) de plus en plus reconnu dans l’industrie du cinéma ?

En effet, la coordination d’intimité est un métier très récent. Quand j’ai commencé il y quelques années, la plupart des productions que je contactais ignoraient complètement ce rôle. C’était pareil pour les comédien.nes : il fallait à chaque fois que j’explique en détail mon travail et son importance. Ce n’était pas simple, car cela demandait de déconstruire des habitudes bien ancrées dans l’industrie. L’année dernière on a vu un revirement de situation très rapide et médiatique, surtout grâce aux auditions de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale qui ont énormément contribué à faire évoluer la reconnaissance de ce métier. Aujourd’hui, même si beaucoup de productions, réalisateur.ices, metteur.euses en scène et comédien.nes n’ont encore jamais travaillé avec un.e coordinateur.ice d’intimité, iels ont au moins entendu parler de ce métier. C’est un vrai pas en avant, même si son adoption reste un enjeu majeur, particulièrement dans les arts vivants où il est encore bien moins diffus que dans l’audiovisuel.

Quels sont, selon vous, les principaux enjeux et défis actuels pour les coordinateur·rice·s d’intimité sur les tournages ? Y a-t-il des obstacles à leur présence systématique, des besoins en formation, ou des pratiques à faire évoluer en priorité ?

Les enjeux et défis actuels pour les coordinateur.ices d’intimité sont nombreux. L’un des principaux défis reste la diffusion encore insuffisante de ce métier dans les productions. De plus en plus de personnes s’intéressent à ce métier, mais il n’y a pas encore suffisamment de travail pour que chaque coordinateur.ice puisse intervenir systématiquement. L’obstacle majeur est souvent le budget : engager un.e coordinateur.ice d’intimité représente un poste supplémentaire, et certaines productions hésitent encore, ou ne peuvent tout simplement pas, investir dans ce domaine. 

En termes de besoins en formation, il serait essentiel de former les comédien.nes, dès les écoles de théâtre, à la mise en scène de l’intimité, à la compréhension de leurs propres limites et à l’importance du consentement. Ces bases sont primordiales, car ce sont elleux qui vont devoir travailler directement avec ces pratiques sur scène ou à l’écran. Transmettre ces savoirs dès la formation initiale permettrait d’ancrer ces bonnes pratiques dans la culture du métier.

Le rôle de coordinateur d’intimité est-il aujourd’hui bien compris et accepté par l’ensemble des acteurs de l’industrie (réalisateurs, comédiens, producteurs) ? Rencontrez-vous encore des réticences ou des idées reçues concernant votre intervention sur les scènes sensibles ?

La réticence majeure est liée aux préjugés. Il existe parfois une crainte que nous soyons des « policier.es du sexe », ce qui est totalement faux. En réalité, notre rôle est de créer un cadre sécurisé, ce qui permet aux comédien.nes de se donner à fond. Quand iels savent qu’iels sont protégé.es et que tout est bien cadré, iels peuvent se lâcher et même aller plus loin que ce qu’iels pensaient initialement. C’est une idée reçue qu’il est crucial de déconstruire. L’autre perspective à ouvrir est que l’intimité ne se cantonne pas au sexe. Où commence l’intimité est une vraie question, subjective à chacun.e, qu’elle soit physique ou émotionnelle.

La France vient d’annoncer le lancement, à la rentrée 2025, de sa toute première formation certifiante pour les coordinateur·rice·s d’intimité. En tant que professionnelle pionnière dans ce domaine, comment accueillez-vous cette initiative et qu’en attendez-vous pour l’évolution de votre métier et la sécurisation des tournages ?

Je suis partagée face à cette initiative. D’un côté, c’est une vraie reconnaissance de notre métier, ce qui est positif et important pour sa légitimité. Cela montre que la France commence à prendre conscience de l’importance de la coordination d’intimité pour sécuriser les tournages. Cependant, plusieurs points me préoccupent. D’abord, le nombre de candidatures – plus de mille personnes pour seulement six places – reflète un immense engouement, mais pas toujours pour les bonnes raisons. Et surtout, cela montre qu’il n’y a pas encore assez de travail pour répondre à une telle demande. Nous sommes déjà six ou sept à exercer en France, et nous n’avons pas toujours assez de missions pour toutes. Ajouter de nouvelles personnes certifiées pose donc la question de la viabilité de ce marché.

Un autre point d’inquiétude est lié à la reconnaissance des professionnelles actuelles. Nous, qui avons exercé ce métier en pionnières, n’aurons pas cette certification française. Est-ce que cela risque de nous écarter à l’avenir ? C’est une question importante, d’autant plus que je n’ai pas été consultée pour la création de cette formation, ce qui me laisse perplexe sur la manière dont elle a été pensée.

Enfin, ce qui m’interroge aussi, c’est qu’il n’est question que d’audiovisuel. J’aimerais voir émerger une formation spécifique aux arts vivants et les débouchés qui vont avec. Ce que j’espère vraiment, c’est que cette formation s’accompagnera de mesures pour développer davantage d’opportunités de travail, non seulement pour les nouvelles personnes certifiées, mais aussi pour celles qui exercent déjà. Si la France s’engage à former et certifier, elle doit également s’assurer de créer un marché suffisant pour que ce métier puisse se développer durablement. Il serait regrettable de certifier des personnes sans leur offrir de débouchés concrets.

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J.F.

Comments

Une réponse à « Rachel Zekri : « Il est crucial de définir quel message on souhaite transmettre » »

  1. Avatar de Les Yeux d’Alex : quand le désir change de regard – RadiKult'

    […] un film pornographique éthique, pensé comme un espace sûr pour les acteurs, encadré par des coordinateurs d’intimité, rémunéré équitablement. Faire du porno un geste créatif et […]

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