
Les éditions Glénat publient Blanche, de Maëlle Reat. Un one-shot personnel, intime, centré sur la figure d’une mère de famille porteuse du VIH.
À travers une conversation mère-fille sincère mais à bâtons rompus se déploie dans Blanche une histoire poignante, celle d’une vie jusqu’ici dissimulée dans l’ombre épaisse d’un secret pesant. Ce secret, c’est celui d’une femme ordinaire à la trajectoire extraordinaire, d’une infirmière dévouée qui, sous ses gestes quotidiens constitués de soins patients et de désinfection compulsive, cache un passé marqué par l’errance, l’addiction, et surtout une lutte silencieuse contre le VIH.
Blanche est cette mère au parcours accidenté, inquiète pour sa fille, hantée par une adolescence chaotique débutée à 13 ans. Elle a connu les spirales de la drogue et les rencontres éphémères d’une jeunesse livrée à elle-même dans les années 1980. Cette période, pour elle, c’est celle où l’insouciance s’agglomère soudainement à un virus encore mal connu : le sida, alors présenté sans recul comme « le cancer des gays ».
Blanche n’y coupe pas : elle fait partie des premières victimes de l’épidémie. Consommatrice d’héroïne, elle est infectée à seulement 19 ans. Longtemps, elle s’est enfermée dans un silence prudent, ponctué de culpabilité et de honte. Et pourtant, ce que Maëlle Reat met en planches, dans l’intimité d’un dialogue avec sa fille adolescente, c’est une femme qui trouve enfin la force de (se) raconter.
Elle narre sa jeunesse à la dérive, ses histoires d’amour plus ou moins fugaces, les ruptures, les tentatives parfois désespérées de reconstruction personnelle. La fille écoute, absorbant chaque détail avec un mélange de fascination et de stupeur, mesurant le vertige de ce parcours chaotique et douloureux, ce secret soigneusement préservé pendant une grande partie de son existence.
Blanche explique ses peurs de mère, la crainte de contaminer ses enfants, mais aussi ses angoisses profondes liées à la protection de sa fille contre tout ce qui pourrait rappeler son propre passé tourmenté. Cette transmission du récit familial se fait avec une émotion certaine, mêlant fragilité et résilience, culpabilité ancienne et compréhension nouvelle. La fille redécouvre ainsi une femme qu’elle croyait connaître, par-delà les comportements suspects et les excès protecteurs.
Les années noires du sida
Mais au-delà de l’intime, le récit de Blanche constitue avant tout une fenêtre ouverte sur les années sombres du sida. Maëlle Reat inscrit avec talent cette histoire personnelle dans le contexte plus large d’une époque marquée par l’ostracisme et l’ignorance. Le VIH suscite son lot de préjugés, exacerbés par un cruel manque d’informations. Les malades deviennent des parias, des cobayes, soumis à des parcours médicaux souvent déshumanisants où la compassion cède place à la peur et au rejet. Blanche se souvient douloureusement de ces années-là, quand une simple prise de sang devenait une humiliation, quand les questions insistantes et les regards fuyants des médecins imposaient une honte permanente.
Ce climat d’ostracisme s’est infiltré partout : au travail, où il fallait à tout prix cacher son statut sérologique ; dans les relations amoureuses, où chaque confession devenait une épreuve propre à tuer dans l’œuf tout rapprochement physique ; et jusque dans la famille elle-même, à qui Blanche a parfois tu la vérité sur son état, puisque ses sœurs ont longtemps ignoré son infection. Le secret pesait lourd, l’isolement et le regard d’autrui encore davantage. L’auteure dresse ainsi un portrait sans concession d’une société paralysée par des craintes infondées, pétrifiée face à un virus qu’elle n’était pas (encore) en mesure d’affronter sereinement.
Malgré ces obstacles, Blanche n’a jamais cessé de lutter. Cela s’est traduit par un engagement concret mais aussi à travers son désir de maternité, perçu par certains comme une forme d’égoïsme ou d’irresponsabilité à une époque où la science tâtonnait encore sur le VIH. La naissance symbolique de sa fille, un 1er décembre, Journée mondiale de lutte contre le sida, parachève son combat personnel. Un combat fait de courage, d’espoir et d’une volonté farouche de vivre pleinement malgré « la maladie ».
Sous la plume sensible et pleine d’à-propos de Maëlle Reat, Blanche est un témoignage précieux doublé d’un hommage à ceux qui avancent malgré l’infection, et en dépit du regard des autres. Un roman graphique nécessaire, qui rappelle la dureté des années sida autant qu’il célèbre la dignité et la résilience de celles et ceux qui, comme Blanche, choisissent de raconter pour enfin libérer leur voix.
J.F.

Blanche, Maëlle Reat – Glénat, mai 2025, 256 pages

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