Batman – Dark Patterns : enfer chimique

Les éditions Urban Comics publient le premier tome d’une nouvelle série prometteuse, intitulée Batman – Dark Patterns. « L’Homme Blessé » oppose le Chevalier noir à un tueur en série victime de l’industrie chimique.

« Après trois ans à patrouiller dans les rues de Gotham, j’ai compris qu’il y a des crimes contre lesquels je ne peux rien. Je ne peux pas sauver les gens d’eux-mêmes. Alors je serre les dents, et face aux ténèbres insondables de ce chaos… j’attends qu’une lumière perce l’obscurité. » Dan Watters et Hayden Sherman exposent les états d’âme du Chevalier noir alors même que la Batmobile s’élance sur une route forestière en direction de la ville. Dans le ciel, un immense Bat-Signal est projeté dans les nuages, indice d’un énième appel à l’aide.

Batman va devoir enquêter sur une série de meurtres atroces et mystérieux. Les victimes ont toutes un point commun : elles sont solitaires, brisées par la vie, marquées par une tragédie personnelle. Parmi elles, Francis Oakley, un avocat influent, et Kenneth Armitage, un retraité sans ressources. Les morts s’enchaînent dans un climat de chaos sur lequel la police, comme à l’accoutumée, ne semble avoir aucune prise. Le tueur s’en prend à ceux que la société a oubliés. Un thème qui fait évidemment écho à Batman lui-même, conditionné par la perte de ses parents et solitaire dans sa croisade contre le mal.

L’investigation le mène sur la piste d’un produit chimique expérimental : la Crioxine, un agent innervant. Ce produit a été jadis enfoui par l’entreprise Ace Chemicals dans un terrain revendu plus tard à la municipalité pour construire une banlieue résidentielle : Green Fields, ironiquement surnommée par les tabloïds « la ville sans cris ». Le Chevalier noir n’a plus qu’à démystifier ce qui lie l’homme qu’il recherche à cet endroit damné, où la sensation, douloureuse comme réconfortante, n’a plus voix au chapitre. Les habitants y tiennent en effet lieu de coquilles vides. 

Cet antagoniste est plus épais et ambigu qu’il n’y paraît. C’est un écorché vif, au sens propre comme au figuré. « Sa chair est une tapisserie d’automutilation quasi fatale. Si je le touche, je le tue », constate Batman. Partant, ce dernier tente de percer un réseau de mensonges et d’omissions tout en luttant contre ses propres limites : il doit contenir sa rage, garder le contrôle, éviter de tuer. « L’Homme Blessé » prend des airs de polar clinique, souvent glaçant. Un homme couvert de clous, un corps de stigmates, commet des meurtres sans rage visible. « Il a cherché, en vain, à ressentir quelque chose. N’importe quoi. »

Dan Watters signe un scénario resserré, tendu, qui va à l’essentiel : pas d’artifices, pas de gadgets inutiles. Batman enquête seul, analytique, vulnérable, et chaque découverte creuse plus profondément dans la chair malade de Gotham. Une métropole dont la gangrène nous est une nouvelle fois rappelée : « Gotham est bâtie sur un mythe. Elle est peuplée d’individus terrorisés, venus des quatre coins du monde en quête de prospérité, tous à la recherche de la terre promise… Ils débarquent ici pleins d’espoir, se retrouvent face au chômage de masse et à une inflation galopante, sans parler de ce clown qui empoisonne l’eau potable. Pas étonnant que les légendes du vieux continent aient la vie dure. Elles ont toujours plus de sens que la vie à Gotham. »

Mais pourtant, c’est davantage un héros lucide que résigné que les auteurs mettent en scène. En détective, il cherche, doute, retient sa main quand la colère menace de faire de lui un bourreau. Le dessin de Hayden Sherman est à la hauteur du propos : nerveux, brut, viscéral quand il le faut, souvent à la lisière du cauchemar graphique. Les corps y sont difformes, les visages crispés, les ombres oppressantes. La mise en page accentue volontiers la sensation d’un monde en déséquilibre permanent.

Avec « L’Homme Blessé », nous avons un Batman plus sépulcral que jamais. La monstruosité est à chercher par-delà le tueur, au sein de l’entreprise qui, par cupidité, a transformé des vies humaines en expériences inopinées. La tragédie n’est pas née d’un crime isolé, mais d’un système structuré autour du mensonge et de la corruption. Le Chevalier noir affronte un monde aux soubassements frelatés. Une apothéose de noirceur qui marie subtilement criminalité, enquête et tragédie écologique.

Fiche produit Amazon

J.F.


Batman – Dark Patterns #1 : L’Homme Blessé, Dan Watters et Hayden Sherman –

Urban Comics, mai 2025, 80 pages

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