Tsar Bomba, entre terreur nucléaire et espoir d’humanité

Parfois, une œuvre nous saisit tellement fort qu’elle semble laisser une empreinte radioactive sur la conscience. Tsar Bomba, le roman graphique imaginé par Fabien Grolleau et mis en images par Cyril Elophe aux éditions Glénat, est de celles-là. Dès les premières planches, l’histoire d’Andreï Sakharov, brillant scientifique devenu malgré lui père de la bombe H soviétique, nous prend aux tripes.

Andreï grandit au cœur d’une famille de savants relativement épargnée par les sanglantes purges staliniennes. La science, pour lui, est une porte ouverte sur l’infini, un moyen d’éclairer l’humanité et non de l’anéantir. Pourtant, la réalité le rattrape violemment : Hiroshima, Nagasaki, puis l’inflexible ordre stalinien de doter l’URSS d’une bombe atomique. Le jeune chercheur Sakharov plonge alors dans un cauchemar éveillé, rendu d’autant plus tangible dans ce lieu anonyme baptisé froidement « l’Installation ». Un huis clos oppressant où scientifiques et prisonniers sont réunis sous la contrainte, pour accomplir les folies militaires du Kremlin, désireux de concurrencer les Américains dans leur armement nucléaire.

Tsar Bomba entrecoupe régulièrement le parcours scientifique et existentiel d’Andreï Sakharov. Des passages poignants révèlent les angoisses et l’âme tourmentée d’un homme condamné à naviguer entre son idéal de progrès humaniste et la terrifiante réalité de ses recherches. Pris entre deux feux contraires, l’homme dévoie la science qu’il chérit tant, jusqu’à céder à ses aspirations pacifiques. Fabien Grolleau excelle dans la mise à nu de sa conscience, soulignant avec justesse ce déchirement moral longtemps insoutenable. Cyril Elophe, lui, sublime chaque moment d’angoisse en une sorte de poésie visuelle cosmique.

Tsar Bomba rappelle aussi combien l’URSS des années staliniennes et khrouchtchéviennes fut implacable : purges, emprisonnements arbitraires, esclavage scientifique et cette obsession malsaine de dominer militairement le monde, quitte à en sacrifier sa propre population et son environnement naturel. Le récit met ainsi en lumière les victimes invisibles de la course à l’armement : les irradiés, les civils mutilés par des cancers et malformations, des écosystèmes entiers dévastés. C’est simple : tout était alors relégué à l’arrière-plan de la suprématie militaire soviétique.

Face au monstre nucléaire qu’il a contribué à créer, Andreï Sakharov devient un lanceur d’alerte avant l’heure, une voix solitaire qui ose dire non à un pouvoir qui ne tolère aucune dissidence. Son opposition courageuse le mènera à la dégradation officielle, la déchéance sociale mais aussi, symboliquement, à la gloire ultime : le Prix Nobel de la paix en 1975. Il reste ainsi fidèle, envers et contre tout, à sa croyance initiale que la science doit servir la paix, et non la mort.

En mêlant Histoire, réflexions écologiques, intrigues géopolitiques et drame intime, Tsar Bomba interroge les responsabilités de l’homme face à l’infiniment grand – comme à l’infiniment petit. Disons-le : ce petit bijou est à découvrir absolument.

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J.F.


Tsar Bomba, Fabien Grolleau et Cyril Elophe – Glénat, mai 2025, 160 pages

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