AVC : donner chair au combat post-AVC

Il est rare qu’une bande dessinée conjugue avec autant de justesse la pudeur de l’intime, la brutalité de la maladie et l’élan d’un récit de reconstruction. Avec AVC, paru aux éditions Glénat, Céline Theraulaz propose, à travers un double témoignage, une radiographie de parcours de vie bousculés, mis à nu, recomposés, avec pour seule boussole une détermination sans relâche.

À 27 ans, Élise est frappée par un AVC. En un instant, tout bascule. Elle s’écroule dans la rue, sans avertissement. Le diagnostic tombe, sec : hémiplégie du côté gauche, aphasie, perte d’autonomie. Commence alors un long chemin de rééducation pour l’étudiante en médecine. Louis fait face aux mêmes maux : polyglotte, grand voyageur, il se retrouve du jour au lendemain dans l’incapacité de marcher ou de parler. Ses projets sont inopinément interrompus, il doit tout reprendre à zéro, comme un enfant en phase d’apprentissage. 

La force du récit tient précisément dans cette immersion sans filtre. Le lecteur vit aux côtés des protagonistes les premiers instants de l’AVC, puis la lente remontée, fruit d’un long travail de rééducation – kinésithérapie, orthophonie, ergothérapie… Tout est narré, mais sans emphase : la fatigue accablante, le corps devenu quasi étranger, les gestes les plus élémentaires érigés en épreuves – manger, se laver, s’habiller, parler. Le désarroi est alors inévitable : « J’ai l’impression d’avoir à la fois 2 ans et 80 ans… »

Dans les premiers jours d’hospitalisation, on note l’usage récurrent du pronom « ON » : « ON me réveille. ON me sert le petit déjeuner. ON me met sur une chaise roulante. ON m’emmène à la salle de bains et ON nettoie mes parties intimes et mes aisselles… » C’est une manière de souligner la perte d’autonomie et une forme de déshumanisation temporaire, de dépossession de soi. L’identité se dilue dans le regard médical, dans la dépendance, jusqu’à ce constat terrible : « JE n’existe plus vraiment. » Et pourtant, peu à peu, ce « je » revient. Il balbutie, il trébuche, mais il se réaffirme. Car ce qui se joue ici, au-delà de la maladie, c’est un récit de résilience, une reconquête de soi.

La temporalité est centrale : 365 jours de lutte, 52 semaines d’orthophonie, 12 mois sans pouvoir communiquer comme avant. Ce renvoi au temps post-AVC est systématique dans l’album : il permet de mesurer les efforts entrepris, les progrès réalisés. Pour Élise et Louis, chaque jour s’apparente à une lutte contre le découragement, la peur, l’impuissance. Mais aussi un lieu des possibles : « Je réussis de nouveau à faire des phrases négatives ou à utiliser les conjonctions de coordination depuis à peine quelques mois. » Quand on est diminué et dans la crainte de ne jamais pleinement recouvrer ses capacités, chaque mot est une victoire contre le sort.

Chemin faisant, Céline Theraulaz met également en lumière le rôle fondamental de l’entourage. « Mes proches me rendent plus forte. Ils m’aident à prendre conscience de mes progrès, à être plus confiante dans mon avenir. Ma détermination à avancer s’en trouve décuplée, et mes doutes et mes craintes apaisés… du moins momentanément ! » La vie sociale peut pourtant être source d’angoisses : comment les amis des protagonistes, qui les ont connus en pleine possession de leurs moyens, vont-ils réagir face à la dégradation de leur état de santé ? Dans AVC, le regard des autres n’est ni un miroir déformant ni une injonction à aller mieux. Il est soutien, présence, preuve que l’on reste vivant, malgré tout.

L’album constitue un outil de sensibilisation, un manifeste pudique sur le handicap, la perte, l’adaptation, la persévérance. En filigrane, c’est aussi une réflexion sur notre rapport au corps, à la norme, à la parole. Céline Theraulaz prend appui sur un double témoignage, sur un couple en construction, pour livrer un message d’espoir, humain, universel. Et elle le fait avec sensibilité et justesse.

Fiche produit Amazon

J.F.


AVC, Céline Theraulaz – Glénat, avril 2025, 160 pages


Posted

in

by

Comments

Laisser un commentaire