Apocalypse Now : retour sur un tournage dantesque

Nous sommes en 1975. Francis Ford Coppola, auréolé du succès des films Le Parrain et Le Parrain II, est au sommet de sa carrière. Hollywood le vénère et tout semble lui sourire. Pour son nouveau projet, il décide d’adapter le roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Mais l’histoire ne se déroule cette fois pas sur le fleuve Congo à l’époque coloniale ; Coppola choisit de transposer l’intrigue dans le contexte de la guerre du Vietnam, une décision qui allait, avec le temps, se révéler à la fois audacieuse et extrêmement risquée.

Pour le financement, Francis Ford Coppola obtient un budget colossal de 16 millions de dollars, une somme qui lui permet de tourner en décors réels aux Philippines, dont les paysages rappellent ceux du Vietnam. Marlon Brando est choisi dans le rôle du Colonel Kurtz. Mais très vite, les problèmes surviennent. Le réalisateur ne parvient pas à trouver l’acteur idéal pour le personnage principal, le capitaine Willard. Après le refus de plusieurs grandes stars comme Steve McQueen, Jack Nicholson et Robert De Niro, il porte son choix sur Harvey Keitel. Il ne lui faut cependant que trois semaines de tournage pour comprendre que le compte n’y est pas et prendre la lourde décision de le remplacer par Martin Sheen. Le tournage repart de zéro, mais les ennuis ne font malheureusement que commencer…

Les Philippines : un décor de rêve transformé en enfer logistique

Le choix de tourner aux Philippines pour l’authenticité allait s’avérer une immense source de problèmes. Tout d’abord, le pays est frappé par un typhon dévastateur en mai 1976. Les décors sont complètement détruits, le matériel est noyé sous la boue et Coppola, déjà en difficulté financière, frôle la faillite. Le tournage est interrompu le temps de reconstruire ce qui peut l’être, ce qui dépasse déjà largement le budget prévisionnel.

Malgré ces difficultés logistiques, Coppola refuse de se laisser abattre. Mais son moral est manifestement éprouvé. D’après certains membres de l’équipe, il sombre dans une forme de paranoïa, craignant que ce projet ne signe la fin de sa carrière. Pour aggraver les choses, Marlon Brando, censé incarner l’effrayant Colonel Kurtz, arrive sur le plateau en grande méforme physique, avec 40 kilos de trop. Pis, il n’a même pas pris la peine de préparer son rôle. Coppola doit improviser. Afin de masquer l’embonpoint du comédien, il décide de le filmer en gros plans, dans la pénombre, une contrainte qui se transformera en un véritable atout artistique, contribuant à l’aura mystérieuse du personnage.

Martin Sheen : un héros en souffrance

Alors que le tournage semble enfin reprendre un rythme acceptable, le destin s’acharne. En mars 1977, Martin Sheen, acteur principal, est victime d’une attaque cardiaque alors qu’il fait son jogging matinal. Le film semble condamné. Francis Ford Coppola doit d’urgence hospitaliser le comédien à Manille, et tout le monde craint pour sa vie. Par miracle, il se rétablit après plus d’un mois de convalescence et peut retourner sur le plateau.

Les mois s’égrènent et les problèmes ne cessent de s’accumuler. Les conditions climatiques aux Philippines ne sont pas favorables, l’équipe subit des problèmes de santé et des tensions se font sentir à chaque étape de la production. L’épuisement psychologique de Francis Ford Coppola se reflète sur ses troupes. Certains racontent ouvertement que le cinéaste envisageait même le suicide tellement la pression était grande. Ce film, censé être un chef-d’œuvre, est en train de dévorer son réalisateur, l’un des plus doués de sa génération.

Le triomphe inespéré à Cannes

Malgré toutes les galères, les embûches et les imprévus, le tournage d’Apocalypse Now parvient à se conclure en mai 1977 (!), après plus de seize mois d’efforts surhumains. Initialement prévu pour durer six semaines, le tournage explose en outre son budget, qui atteint la somme pharaonique de 31 millions de dollars. Le montage et la post-production, tout aussi laborieux, prendront deux années supplémentaires. Hollywood se moque de ce qu’il nomme désormais Apocalypse When ?. À raison ?

Lorsque le film est sélectionné pour le Festival de Cannes en 1979, il est encore techniquement inachevé. Pourtant, à la surprise générale, il se voit décerner la Palme d’or, ex æquo avec Le Tambour de Volker Schlöndorff. Apocalypse Now devient instantanément une légende, non seulement pour la puissance de son message et la virtuosité de sa mise en scène, mais aussi en raison de toutes les difficultés qu’il a surmontées pour voir le jour.

En 2019, Francis Ford Coppola propose une nouvelle version, Apocalypse Now Final Cut, qu’il présente comme le montage définitif, quarante ans après la première projection cannoise. Cet épilogue tardif montre à quel point le cinéaste n’a jamais cessé de croire en son film, malgré les épreuves.

Le tournage d’Apocalypse Now restera à jamais l’un des plus difficiles et éprouvants de l’histoire du cinéma. Francis Ford Coppola a repoussé ses limites physiques, psychologiques et financières pour en venir à bout. Pourtant, malgré ce chaos apparent, le film est devenu un véritable chef-d’œuvre intemporel, aujourd’hui largement acclamé. Une belle leçon d’abnégation, d’intransigeance et de génie créatif.

Fiche produit Amazon

R.P.

Comments

Laisser un commentaire