Sacrées Sorcières : un enchantement malicieux pour petits et grands

Dans Sacrées Sorcières, Roald Dahl livre un récit pétillant qui mêle avec brio l’horreur à l’humour. Publié en 1983, ce roman jeunesse n’a rien perdu de sa fraîcheur : à la fois effrayant et drôle, il met en scène une galerie de personnages hauts en couleur, égratignant au passage l’image convenue du héros traditionnel. S’il sollicite des sorcières redoutables, prêtes à tout pour éliminer les enfants, le livre célèbre avant tout la débrouillardise, le courage, la résilience et la puissance de l’imagination.

Quand on plonge dans l’univers de Roald Dahl, on n’en ressort jamais indemne. Sacrées Sorcières en est le parfait exemple : ce texte, pensé pour un jeune lectorat, se lit comme un véritable page-turner, mêlant l’esprit frondeur de l’écrivain britannique à une quête palpitante narrée à hauteur d’enfant. Dès les premières pages, l’auteur installe une atmosphère délicieusement inquiétante. Son jeune héros, fraîchement orphelin, est recueilli par une grand-mère norvégienne à l’humour grinçant, passionnée de récits sur les sorcières, ces créatures qu’elle dépeint comme de redoutables prédateurs, camouflées sous des traits de femmes distinguées.

L’idée forte du roman repose sur un retournement tragicomique : derrière un sourire poli ou des manières raffinées peut se cacher la pire des menaces. Les sorcières de Roald Dahl arpentent ainsi les rues à visage (presque) découvert, déguisées en femmes de la haute société, traquant les enfants qu’elles abhorrent plus que tout. Il faut dire qu’à leurs yeux, ou plutôt leurs narines, ces derniers empestent « le caca fumant ». Cette dualité – la respectabilité de façade, la cruauté dissimulée – est traitée avec un humour noir savamment dosé. Grand artisan de la provocation littéraire, l’auteur britannique use d’un langage simple mais percutant qui maintient en éveil et ne manque jamais de tourner en dérision ses personnages – songeons à Bruno et ses penchants boulimiques.

Sacrées Sorcières repose également sur la relation touchante entre l’enfant et sa grand-mère. Celle-ci, d’une vitalité assez surprenante, défie la maladie et l’âge avancé pour distiller au petit garçon ses conseils avisés de survie. Parce qu’elle-même est avertie des dangers de ce monde, elle lui apprend à ne jamais se fier aux apparences – ce que le roman ne cessera de démontrer. La solidarité intergénérationnelle, fil rouge du récit, offre ainsi un contrepoint lumineux à la menace omniprésente des sorcières, chauves, amputées de leurs orteils et affublées de griffes inquiétantes. Rien que ça.

S’il s’adresse d’abord aux enfants, Sacrées Sorcières charme aussi le lectorat adulte. Les situations cocasses, les rebondissements haletants et la plume incisive de Roald Dahl n’empêchent pas la double lecture : au-delà du divertissement, l’auteur évoque sans détour la force de résilience – même devenu souriceau, l’enfant conserve un esprit positif –, la peur irrationnelle ou les manœuvres sournoises d’une société secrète grimée en organisation de bienfaisance. On y trouve en sus une bonne dose de sarcasme typiquement britannique, notamment dans la manière dont l’auteur se moque de la bienséance sociale. Car à travers le Conseil annuel des sorcières, très cérémonial, Roald Dahl dessine en creux une satire des conventions et de la vanité du paraître.

Le style, toujours vif, jouit d’une construction narrative maîtrisée. Les chapitres sont courts, la tension n’en est que plus soutenue, et les rebondissements s’enchaînent à grande vitesse. Consolidé par un équilibre subtil entre l’horreur bon enfant et l’espièglerie, Sacrées Sorcières parvient à évoquer l’air de rien des sujets plus profonds : la solitude de l’enfance, le deuil, la menace de l’inconnu. L’humour noir, pilier de l’œuvre de Roald Dahl, incite les jeunes lecteurs à apprivoiser leurs peurs, tandis que les adultes y verront un pied de nez jubilatoire aux figures d’autorité – et ce, plus encore dans Fantastique Maître Renard. Un classique indémodable, à (re)découvrir sans hésiter.

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J.F.


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