
Alors que le secteur de l’édition doit sans cesse faire place aux nouveautés, la mise au pilon des livres reste une pratique répandue, bien que controversée. Entre nécessité économique, optimisation des stocks et problématique écologique, l’industrie explore aujourd’hui, encore insuffisamment, des alternatives pour réduire le gaspillage tout en répondant aux exigences d’un marché complexe. Quels sont les enjeux de cette pratique ? Comment la filière est-elle organisée et quelles solutions émergent pour préserver les ouvrages tout en répondant aux impératifs économiques ?
La mise au pilon des livres n’est rien de moins que la destruction des exemplaires invendus, abîmés ou jugés obsolètes. C’est une étape courante dans la gestion des stocks d’un éditeur. Il s’agit de se débarrasser de livres devenus encombrants, en se reposant sur une organisation plus ou moins structurée, impliquant éditeurs, distributeurs, entrepôts et recycleurs, qui ont pour mission de gérer au mieux les flux d’ouvrages dans une filière marchande, donc soucieuse de rentabilité. Cependant, face aux défis environnementaux et aux critiques sur le gaspillage, des alternatives à la mise au pilon émergent et ouvrent la voie à une gestion plus responsable des invendus.
La mise au pilon, une décision économique et logistique
Mettre un livre au pilon s’impose avant tout pour des raisons économiques et logistiques. Tous les éditeurs doivent faire face à une accumulation d’ouvrages invendus qui, faute de place et de perspectives de vente, deviennent progressivement un poids financier pour les entrepôts. Le stockage génère en effet des coûts non négligeables, surtout pour des livres dont la popularité tend à décliner ou pour lesquels les stocks sont devenus largement excédentaires par rapport à la demande.
L’obsolescence de certains d’entre eux, notamment dans des domaines comme la technologie, la médecine ou les sciences sociales, conduit également les éditeurs à détruire des éditions rapidement dépassées pour éviter de diffuser des informations erronées ou désuètes. Mais ne faisons pas l’autruche : c’est surtout la stratégie de renouvellement de l’offre littéraire qui exige de libérer de l’espace pour accueillir les nouveautés. Chaque année, des milliers de nouveaux titres paraissent et, pour maintenir un flux constant, il devient nécessaire d’en retirer certains pour laisser la place à d’autres. Il est rare qu’un livre ait le loisir de prendre la poussière sur les étagères d’une librairie.
Une filière structurée pour gérer l’invendu
Pour organiser la gestion des stocks, la filière de la mise au pilon est structurée autour de plusieurs acteurs-clés. En premier lieu, les éditeurs et distributeurs décident quels titres et en quelles quantités les livres doivent être retirés de la circulation. Cette décision repose sur des études de marché, des projections commerciales, ainsi qu’une analyse des ventes passées.
Les livres destinés au pilon sont ensuite centralisés dans des entrepôts logistiques, qui assurent leur stockage en attendant leur destruction. Enfin, pour la dernière étape, des entreprises spécialisées dans le recyclage prennent en charge les ouvrages, déchiquetés et transformés en pâte à papier. Dans une démarche d’économie circulaire, ce papier recyclé est ensuite utilisé pour fabriquer de nouveaux produits. On peut noter une volonté de réduire l’impact environnemental de la mise au pilon, même si elle ne permet pas d’éviter le gaspillage de ressources dénoncé, à raison, par certains.
Le Syndicat national de l’édition nous apprend ainsi que les livres invendus et retournés chez le distributeur peuvent être pilonnés (en moyenne 25 000 tonnes de livres par an), réintégrés dans le stock (8 700 tonnes) ou triés par l’éditeur (3 200 tonnes). Les tonnages destinés au pilon représentent pas moins de 13% du flux. Les retours qui sont réintégrés dans le stock en représentent environ 4,5% et les retours rendus à l’éditeur, seulement 1,6%.
Les alternatives : vers une gestion plus responsable des invendus
Les enjeux écologiques et les critiques croissantes à l’égard de la mise au pilon pourraient pousser les éditeurs à explorer diverses alternatives pour limiter le gaspillage des invendus. Parmi ces solutions, le don et la revente connaissent un intérêt croissant. D’aucuns choisissent désormais de donner certains invendus à des associations, des bibliothèques ou des établissements éducatifs, par exemple dans les pays en développement, où ces livres peuvent avoir une seconde vie et contribuer à l’accès à la culture et à l’éducation.
L’essor relatif des livres numériques et de l’impression à la demande contribue également à réduire les stocks physiques. Ils éliminent le problème des excédents, en adaptant précisément la production aux besoins du marché. Une autre alternative en vogue est le recyclage créatif, ou upcycling, des ouvrages. En transformant des livres invendus en objets artistiques, meubles ou supports pédagogiques, celui-ci permet de valoriser autrement l’ouvrage, en sensibilisant le public à la gestion des déchets et à la revalorisation des matériaux.
Enfin, la vente en déstockage est une pratique de plus en plus fréquente, permettant de proposer les livres abîmés, ou en fin de vie, à prix réduit, lors de foires aux livres ou dans des points de vente spécialisés. Ce type d’événement attire un public désireux de faire de bonnes affaires tout en favorisant la circulation des ouvrages, notamment des œuvres de fond ou à diffusion confidentielle, qui méritent une seconde chance.
Cependant, cette pratique est paradoxalement peu favorisée dans l’industrie. Premièrement, les éditeurs craignent que les ventes en déstockage ne dévalorisent l’image de leurs ouvrages. En vendant à bas prix, ils risquent de donner une perception indésirable de « fin de série » ou de qualité inférieure, ce qui peut nuire à l’attrait des nouveaux titres et même dévaloriser l’ensemble du catalogue de la maison d’édition. Deuxièmement, le déstockage à bas prix peut créer une concurrence avec les librairies, partenaires privilégiés des éditeurs. Proposer des ouvrages pour quelques euros dans des points de vente spécialisés ou lors de foires peut amener le public à s’attendre à des réductions, ou à privilégier ces achats économiques, fragilisant ainsi les libraires, qui dépendent de marges pleines pour leur viabilité. Enfin, organiser des opérations de déstockage demande une logistique supplémentaire qui peut s’avérer coûteuse et complexe à gérer pour des éditeurs déjà sous pression.
La mise au pilon, un enjeu éthique, économique et écologique
Aujourd’hui, la mise au pilon soulève plus que jamais des questions éthiques, économiques et écologiques qui poussent les acteurs du secteur de l’édition à repenser leurs pratiques. Certains éditeurs s’engagent d’ailleurs à réduire leur empreinte écologique en revoyant leurs méthodes de tirage et en optant pour des matériaux durables. Face aux critiques croissantes sur le gaspillage et la destruction des ressources, les éditeurs cherchent à mieux évaluer leurs prévisions de vente afin de réduire au maximum la nécessité de mise au pilon. Des initiatives de sensibilisation et de valorisation de ces livres invendus, portées par des associations, des artistes ou des entreprises de recyclage, permettent également de revaloriser des stocks excédentaires et de répondre à une demande croissante de responsabilité écologique.
Malheureusement, la mise au pilon n’en demeure pas moins, aujourd’hui, une réalité incontournable dans l’industrie du livre. Et demain ?
L.B.

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