
Né en 1960 à Padoue, Maurizio Cattelan est aujourd’hui l’un des acteurs les plus irrévérencieux de l’art contemporain. Avec des œuvres qui alternent entre le sacrilège et l’absurde, il s’est fait une spécialité de déconstruire les conventions et provoquer le spectateur. Entre Milan et New York, il pousse l’art dans ses derniers retranchements, transformant chacune de ses bravades en manifeste artistique.
Maurizio Cattelan n’est pas un artiste comme les autres. Il est l’enfant terrible de l’art contemporain, capable de faire hurler d’indignation le conservateur le plus chevronné tout en inspirant, dans le même élan, un sourire coupable et complice au spectateur. Dès ses premières œuvres, son approche singulière se dessine : il ne peint pas, il n’esquisse pas, il démolit. Son outil favori ? L’ironie.
Avec La Nona Ora (1999), il frappe fort : le pape Jean-Paul II, sculpté en cire, gît à terre, frappé par une météorite. Le titre, qui évoque l’heure de la mort du Christ, magnifie l’absurde et la critique. Ce mélange d’humour noir et de profondeur « discursive » résume l’essence même de Maurizio Cattelan : un artiste qui préfère poser des questions dérangeantes plutôt que donner des réponses confortables.
Ses œuvres se moquent volontiers des institutions, de l’Histoire et même du spectateur. Avec Him (2001), représentant Adolf Hitler agenouillé en prière, il pousse le paradoxe jusqu’à faire vaciller la frontière entre humanité et monstruosité. L’œuvre, qui a notamment été exposée dans l’ancien ghetto de Varsovie en 2012, incite à une réflexion sur la mémoire collective, expurgée de tout manichéisme et prise à revers.
Ce qui distingue véritablement Maurizio Cattelan, c’est peut-être son aptitude à transfigurer l’absurde en art. Avec Comedian (2019), il prend le parti de scotcher une banane à un mur. Celle-ci sera ensuite vendue pour plus de six millions de dollars. La simplicité grotesque de l’œuvre a déchaîné les passions, allant de l’indignation à la fascination. Était-ce une critique acerbe du marché de l’art ou un éclat de génie burlesque ? Peu importe. Ce qui compte, c’est que Comedian a réussi là où tant d’autres ont échoué : susciter la réaction, capter l’air du temps.
En d’autres circonstances, l’artiste italien semble préférer jouer avec les codes. L.O.V.E. (2010) est une immense main dont le doigt d’honneur trône face à la Bourse de Milan. Partant, il érige un symbole trivial en déclaration politique. Le geste, ancré dans le marbre blanc, devient un cri silencieux, un défi insolent à l’ordre établi. On tient à la fois la subversion d’un symbole fasciste et une critique manifeste adressée aux milieux financiers.
Les œuvres de Cattelan doivent s’appréhender comme des dispositifs qui interrogent les contradictions de notre monde. Avec America (2016), il installe une toilette en or 18 carats dans un musée. Le message est clair : l’excès et l’inégalité incarnés dans un objet quotidien, devenu symbole de luxe inutile. Lorsqu’elle est volée en 2019 au Palais de Blenheim, l’œuvre se mue en mythe des temps modernes, renforçant encore son impact initial.
Mieux, lors de sa rétrospective au Guggenheim en 2011, il suspend ses œuvres en pagaille au plafond, créant un chaos visuel et refusant toute logique hiérarchique. En plaçant le spectateur au cœur d’un désordre savamment organisé, il met en scène un univers où le non-sens fait sens. Maurizio Cattelan propose alors un dialogue ouvert, souvent inconfortable, avec nos conventions.
Par son humour mordant, sa critique des institutions et son goût pour l’absurde, l’artiste italien transforme chaque exposition en acte de subversion. Ses œuvres, qu’on les adore ou qu’on les déteste, n’en demeurent pas moins autant de miroirs tendus à une société souvent incapable de rire d’elle-même, ni même de se remettre en question. Pour Cattelan, il s’agit de déranger, secouer, faire réfléchir. Et c’est précisément ce qui fait de lui une figure incontournable de l’art contemporain.
J.F.

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