
Figure emblématique du cinéma d’horreur, le zombie n’est pas qu’une créature fantastique assoiffée de chair humaine. Derrière sa démarche titubante et son apparence putréfiée se cache un miroir sombre et déformé de nos sociétés. Depuis ses origines issues des croyances vaudou jusqu’à son omniprésence sur nos écrans contemporains, le zombie est devenu une métaphore puissante, servant de prisme pour explorer les peurs, les angoisses et les dérives humaines.
Le mort qui revient à la vie n’a rien d’une singularité : on en retrouve la trace dans de nombreuses mythologies et croyances à travers le monde. Cependant, le zombie tel que nous le connaissons aujourd’hui tient ses origines des cultures africaines, haïtiennes et antillaises, et plus particulièrement du culte vaudou. Lié à l’histoire de l’esclavagisme, ce dernier s’est propagé des côtes d’Afrique de l’Ouest vers les Caraïbes. Dès la fin du XIXe siècle, des écrivains s’intéressent à ces rites de « morts qui marchent », notamment Patrick Lafcadio Hearn et William Seabrook. Ce dernier publiera en 1928 The Magic Island, considéré comme le premier ouvrage entièrement consacré au sujet, décliné à Broadway, et qui inspirera le film White Zombie (1932) de Victor Halperin, avec Bela Lugosi.
Au moment où George A. Romero, depuis considéré comme le père du zombie moderne, propose au public son film fondateur La Nuit des morts-vivants (1968), il ne part donc pas d’une feuille blanche. Cela a fait l’objet de nombreuses démonstrations, le cinéaste américain a révolutionné le genre horrifique et a imposé le zombie comme une figure incontournable dans l’imaginaire collectif. Mais Romero a, à chaque fois, plaqué sur ses récits cauchemardesques certains des maux dont souffre la société : à travers la métaphore du revenant mangeur de chair humaine, il aborde des thèmes tels que le racisme, le consumérisme, la violence sociale, la perte de confiance en l’humanité ou encore la critique du pouvoir.
Né avec La Nuit des morts-vivants, le zombie romérien est lent, en décomposition plus ou moins avancée, décérébré et anthropophage. Il symbolise les dérives consuméristes, individualistes et violentes de la société. Il évolue toutefois au fil des films de Romero, devenant plus organisé et « conscient » dans les dernières œuvres du cinéaste. Il apparaît toujours comme un révélateur. La Nuit des morts-vivants questionne frontalement le racisme de l’Amérique des années 1960, en faisant d’un homme noir le héros lucide et altruiste, abattu par la milice qui le confond avec un zombie. Dans le sobrement intitulé Zombie, George A. Romero met en scène des survivants réfugiés dans un centre commercial, qui reproduisent les travers de la société de consommation et sombrent dans le luxe et la violence.
Outre Romero, de nombreux cinéastes se sont emparés du film de zombies pour commenter l’actualité et la société. Dead of Night (1974) dénonce les ravages de la guerre, tandis que L’Emprise des ténèbres (1988) s’attaque à la dictature et à l’instrumentalisation des croyances. Dellamorte Dellamore (1994) utilise les zombies pour explorer l’angoisse existentielle d’une génération désabusée, et Vote ou crève (2005) critique ouvertement la politique de George W. Bush, la guerre au Moyen-Orient et le populisme des discours conservateurs.
Malgré l’horreur à laquelle ils sont irrémédiablement associés, les zombies peuvent aussi servir de réflecteurs de la beauté et de la fragilité de l’existence humaine. Des films comme Les Revenants (2004) ou The Dark (2018) ont employé les morts-vivants pour explorer les thèmes de l’exclusion, de la solitude, de l’amour et de la quête d’identité. L’humanité se trouve ainsi, parfois, aussi bien chez les vivants que chez ceux que l’on considère comme des monstres.
D’autres thématiques affleurent çà et là. Des films comme Le Massacre des morts-vivants (1974), Retour des morts-vivants (1985) ou Planet Terror (2007) mettent en garde, à leur façon, contre les conséquences de l’inconscience écologique et du cynisme de nos sociétés. Dans Retour des morts-vivants, qui a la particularité d’avoir été réalisé par Dan O’Bannon (le scénariste d’Alien), l’invasion est ainsi le résultat de l’échappement d’un gaz provenant d’un container militaire. La famille, souvent dysfonctionnelle, constitue un autre trope du genre. Fido (2007) tourne en dérision le modèle familial traditionnel, tandis que Grace (2009) explore les liens ambivalents entre une mère et son enfant zombie. D’autres films comme Maggie (2015) ou Extinction (2015) mettent en scène des parents prêts à tout pour protéger leurs enfants dans un monde en proie au chaos. Le zombie infecté, qui est le fruit d’une contamination virale ou bactérienne, renvoie quant à lui aux angoisses contemporaines liées aux maladies émergentes et aux pandémies.
Il a le vent en poupe et s’est décliné partout, des mangas aux séries télévisées. Il est peu probable que le cinéma de zombies disparaisse de sitôt. Portant l’effroi, faisant écho à des sociétés confrontées à des crises et des angoisses profondes, le zombie demeure une métaphore puissante et malléable, qui questionne les problématiques contemporaines et interroge notre humanité. Dans l’ouvrage Zombies des visages, des figures…, Erwan Bargain met d’ailleurs parfaitement en lumière comment, au-delà de l’horreur, ces figures monstrueuses incarnent les doutes et les travers de nos sociétés, en citant en sus des exemples déjà énoncés l’influence des médias et de l’image ([Rec], 2007), le sexisme et l’oppression masculine (Schoolgirl Apocalypse, 2011) ou encore l’effondrement de la civilisation et le retour à la nature (Cargo, 2017).
J.F.

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