
De Dragon Ball à One Piece en passant par Naruto, les mangas se sont progressivement imposés dans le paysage culturel français. Longtemps considérés comme des curiosités exotiques, ces bandes dessinées japonaises ont depuis conquis le cœur des Français, faisant aujourd’hui de l’Hexagone le deuxième plus grand marché au monde, après le Japon. Mais comment cette forme d’art, avec ses spécificités culturelles et graphiques, a-t-elle pu s’imposer aussi largement en France ? Pour mieux comprendre cet engouement, nous vous proposons de plonger dans l’histoire du manga, de ses origines à ses évolutions les plus récentes, tout en nous penchant sur sa diffusion à l’international.
Les origines du manga au Japon
L’histoire du manga remonte au XIXe siècle, époque où le Japon était encore une société féodale fermée au reste du monde. C’est dans ce contexte qu’un artiste de renom, Katsushika Hokusai, publia ses carnets de croquis qu’il nomma « manga », un mot combinant les idéogrammes signifiant « dessin exagéré ». Ces croquis représentaient des scènes du quotidien, souvent empreintes d’humour et de grotesque. L’influence occidentale s’accentue à partir de la fin du XIXe siècle avec l’ère Meiji, qui ouvre le Japon aux techniques modernes et aux influences étrangères. Les dessinateurs japonais intègrent alors les techniques du dessin de presse européen et des comic strips américains, sans pour autant abandonner leurs racines culturelles.
Après la Seconde Guerre mondiale, le manga poursuit son essor dans un Japon en reconstruction, offrant au public une forme de divertissement abordable. Des auteurs comme Osamu Tezuka, aujourd’hui qualifié de « dieu du manga », apportent une nouvelle dimension narrative et rendent le genre accessible à toutes les classes sociales. Des œuvres telles qu’Astro Boy ont inspiré plusieurs générations d’auteurs et structuré les bases de la narration moderne. Progressivement, le manga quitte le format des strips publiés dans la presse pour se développer dans des magazines spécialisés, touchant un public de plus en plus large.
L’évolution des genres
Le manga n’est pas un genre monolithique. Au contraire, il se diversifie rapidement en une multitude de sous-genres afin de répondre aux désirs de publics variés. Le shônen, destiné aux jeunes garçons, est probablement le plus connu en dehors du Japon, avec des œuvres telles que Dragon Ball, One Piece ou Naruto. Ses histoires, souvent centrées sur des jeunes héros en quête de justice, explorent des thèmes tels que le courage, l’amitié et le dépassement de soi.
Mais il existe également des mangas pour d’autres publics. Le shôjo, destiné aux jeunes filles, se concentre sur les relations humaines et la romance, tandis que le seinen s’adresse à un public adulte, traitant de thèmes plus sombres et complexes, parfois avec une forte charge psychologique. Des sous-genres encore plus spécifiques, comme le josei (mangas pour jeunes femmes) ou le hentai (contenu érotique), montrent la capacité du médium à explorer tous les aspects de la vie et de la société japonaise, offrant ainsi une grande diversité de contenus.
Cette segmentation du manga en fonction du public cible est unique dans le monde de la bande dessinée et participe à son succès à l’étranger, y compris en France, où chaque lecteur peut aisément trouver une série qui répond à ses préférences personnelles. De plus, le rythme effréné de publication des mangas, souvent hebdomadaire, au risque d’ailleurs d’épuiser les mangakas, permet de maintenir un intérêt constant chez les lecteurs, contrairement à la BD franco-belge, dont les séries ne publient généralement qu’un album par an.
L’arrivée et la popularisation du manga en France
L’arrivée du manga en France remonte à la fin des années 1970, principalement par le biais des émissions de télévision. Des séries comme Goldorak, Albator ou Candy furent diffusées avec un succès retentissant, même si, à l’époque, le public français ignorait souvent que ces animés étaient des adaptations de mangas. Le Club Dorothée, émission phare des années 1980 et 1990, a ensuite joué un rôle majeur dans la popularisation des animés japonais, en propulsant sur le devant de la scène des titres comme Dragon Ball et Les Chevaliers du Zodiaque, rapidement devenus immensément populaires.
Cependant, cette première vague de mangas a également suscité des controverses. Le contenu jugé trop violent de certaines séries a provoqué une levée de boucliers de la part de certains médias et responsables politiques, à l’image de Ségolène Royal qui, en 1988, déposa un amendement pour protéger les enfants de la violence télévisuelle, à laquelle on associait alors les animés nippons. Malgré ces polémiques, les jeunes Français se passionnent pour ces héros venus du Japon, et, avec l’avènement d’Internet dans les années 2000, la lecture de mangas scannés, souvent piratés, se répand largement parmi les amateurs.
Parallèlement, les maisons d’édition commencent à publier des mangas en version papier. Glénat est l’une des premières à proposer des titres japonais, suivie par d’autres qui vont se spécialiser dans ce format, telles que Kana ou Tonkam. Le succès est tel que les mangas deviennent des incontournables des rayons de librairies, et des expositions leur sont même consacrées au prestigieux festival de la BD d’Angoulême. Avec l’arrivée et la découverte des œuvres du Studio Ghibli, qui remportent à la fois la reconnaissance critique et le succès public, le manga et l’animé achèvent de conquérir un public élargi.
Comment expliquer le succès du manga en France ?
Plusieurs facteurs expliquent l’incroyable succès du manga en France. Tout d’abord, son rythme de publication soutenu offre aux lecteurs un flux continu de nouveautés. Contrairement à la bande dessinée franco-belge, avec des séries souvent limitées à une sortie annuelle, le manga propose des épisodes hebdomadaires qui maintiennent l’engouement. Cette nouveauté constante, presque frénétique, en prise directe avec les goûts du public (qui peut porter aux nues ou déclasser un titre d’une semaine à l’autre), est particulièrement adaptée à une génération en quête d’immédiateté.
Ensuite, le manga aborde des thèmes universels qui font écho aux préoccupations des jeunes générations : la quête d’identité, le dépassement de soi, l’amitié, la justice, la famille… Ces thématiques parlent à un large public, quel que soit son contexte culturel. Et la représentation graphique, avec ses traits exagérés et ses personnages expressifs, séduit par son esthétique si spécifique, bien différente des bandes dessinées européennes. Le manga offre par ailleurs une grande diversité de représentations : les personnages peuvent être faibles, imparfaits, incertains, en proie à des émotions conflictuelles, ce qui les rend très humains et attachants.
Enfin, la fascination réciproque entre la France et le Japon ne doit certainement pas être négligée. Depuis le XIXe siècle, l’art et la culture japonaise suscitent l’intérêt en France, et cette « Japon-mania » s’est renforcée au XXIe siècle avec l’explosion du tourisme, l’attrait pour les spécialités culinaires nippones ou l’organisation d’événements comme la Japan Expo, qui attire chaque année des milliers de visiteurs. Le lancement du Pass Culture en France en 2021 a également contribué à la diffusion du manga, en permettant à de nombreux jeunes d’acheter plus facilement ces ouvrages.
Qu’en retenir ?
De ses origines avec les croquis de Hokusai à son épanouissement moderne, le manga a su évoluer, se diversifier et traverser les frontières. En France, il a conquis un public varié, notamment grâce à sa capacité à s’adapter aux goûts de chacun, à son rythme de publication soutenu et à la richesse et la pluralité des thèmes abordés. Aujourd’hui, le manga fait partie intégrante du paysage culturel français, s’installant durablement aux côtés des classiques de la bande dessinée franco-belge. Les mangas d’auteurs français eux-mêmes, inspirés des techniques japonaises mais enrichis des sensibilités locales, témoignent eux aussi de la force de cet art qui, tout en restant fidèle à ses racines, continue de se renouveler et de s’étendre au-delà de son berceau asiatique.
L.B.

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