Itv Ludovic Lavaissière : « L’ironie, c’est le fond de ma nature »

À l’occasion de la sortie de son court-métrage Que le meilleur gagne !, Ludovic Lavaissière nous a accordé un entretien. Nous sommes revenus sur les synergies entre l’auteur et le réalisateur, sur la tonalité du film, sur sa cinégénie et sur les multiples références qu’il convoque.

Comment vous est venue l’idée de ce scénario ?

Depuis quelques années, je traîne mes boots et l’oreille sur des tournages de films et de séries. Et pour un auteur, avoir l’oreille qui traîne tient de la déformation professionnelle. Bref, j’avais envie d’écrire sur ce microcosme et il y a encore à dire sur le sujet. Il ne serait pas dingue d’écrire une suite à Même les extincteurs rêvent de gloire dans laquelle Arthur ferait de la figuration et aborderait ce thème. J’ai d’ores et déjà un titre en tête :  J’ai rallumé le pétard de Johnny Depp .

L’ironie dicte le ton du court-métrage et prédominait déjà dans votre roman Même les extincteurs rêvent de gloire. Ludovic Lavaissière, réalisateur, est-il le prolongement naturel d’Arthur Zingaro, l’auteur ?

Ludovic Lavaissière n’est que l’ombre d’Arthur Zingaro. D’ailleurs, vous aurez noté qu’Arthur est crédité comme scénariste au générique. Voilà que vous me faites parler de moi à la troisième personne comme Delon, ça va jaser. Quant à l’ironie, c’est le fond de ma nature ; l’angle sous lequel je brosse machinalement le portrait de mon prochain comme de moi-même.

L’arène — un diner classique — et la musique jouent un rôle important dans la cinégénie du film. Shakespeare en commente indirectement la trame. Vous convoquez aussi des références iconiques, comme Johnny Depp, Columbo et Yul Brynner, en plus de concevoir un appendice en forme d’hommage au cinéma muet. Quelle est la place de la citation référentielle dans votre œuvre ?

Une place prépondérante. Shakespeare, je le révère, mais j’aime aussi les films tirés de ses pièces… De Macbeth à Othello en passant par Jules César ou Richard III… Ce qui me fait penser que l’ami Fabien Giameluca cite aussi Al Pacino qui a réalisé Looking for Richard . Tout est lié. Je crois dur comme fer à la synchronicité jungienne et je fonctionne beaucoup par association d’idées. Ce qui nous amène directement à cette histoire de sosies. Celui de Columbo est joué par Didier Bouch, un ami d’enfance. On s’était perdus de vue. J’ignorais qu’il était imitateur et lui m’avait vu dans un court-métrage à la faveur d’un festival. C’est Didier qui nous a amené Johnny Steff, le sosie de Johnny Depp qui émarge notamment chez Disney. Tout ça a apporté de l’eau à mon moulin et j’ai décidé d’ajouter le concours de sosies à mon histoire de comédiens en compète. C’est aussi comme ça que la référence à Yul Brynner s’est imposée. Primo, différentes personnes avaient pointé un air de ressemblance, secundo c’était l’idole de ma jeunesse. Gamin, il me fascinait au point que je plaquais les mains sur mes cheveux en sortant de la douche pour voir à quoi je ressemblerais si j’étais chauve. Ironie, là encore… je devais paumer mes tifs à la vingtaine. Mais pour autant, je n’en menais pas large à l’idée de tenir le rôle d’une icône… Jusqu’à la dernière minute, on a d’ailleurs envisagé un recours à l’I.A. ! Mais j’ai fini par me dire : autant aller jusqu’au bout, tenter de choper son phrasé, ses mimiques, etc. Didier lui-même fait 15 cm de plus que Peter Falk, mais on y croit. Et ce qui m’a définitivement convaincu d’incarner Yul, c’est une anecdote que j’avais en mémoire : alors qu’il buvait un verre entre deux tournages à Madrid, une femme l’avait abordé et lui avait demandé s’il était bien Yul Brynner. « Non », lui avait-il répondu, « je suis sa doublure ». Concernant l’hommage au muet, cette séquence post-générique, c’est la gestuelle singulière de Johnny Steff qui me l’a inspiré. L’allure carnavalesque de Jack Sparrow colle parfaitement avec les mimiques et le langage corporel du muet, ça donne un genre de Valentino sous acide. Quant à la musique à base de percussions, elle est signée Richard Tabbi, complice de la première heure, et elle s’inspire de celle composée par Antonio Sanchez pour Birdman, encore une référence. Enfin, le Whoopies Diner, ce « lieu commun » si j’ose dire, donne un cadre atemporel et universel à mon historiette. On est clairement en France, mais dans un quartier d’une ville française où l’imaginaire américain se taille une bonne place. Car si j’aime le cinéma français, la passion du cinéma m’est d’abord venue d’Hollywood.

Les dialogues sont remplis de vacheries débitées sous le faux nez de l’admiration. Comment avez-vous dirigé les acteurs pour qu’ils trouvent le bon ton dans ce duel psychologique entre deux comédiens en lutte pour le même rôle ?

J’aime beaucoup cette expression, « le faux nez de l’admiration » ! Avec Fabien, on a répété les samedis jusqu’à trouver le ton qui convenait. On a récrit les dialogues de manière à ce que les comédiens puissent les dire comme s’ils les avaient formulés eux-mêmes. Et puis, Fabien et moi nous sommes rencontrés sur un tournage, alors il a rapidement saisi le ton du film. Rien de ce qui se dit dans le court ne nous est étranger. Par expérience, on connaît tous les deux cette vanité et cet esprit de compétition qui pousse à jalouser jusqu’à l’ami. Dernièrement encore, j’ai fait un bout d’essai et je n’ai pas été retenu, l’échec et la frustration font partie du jeu, mais je suis on ne peut plus reconnaissant lorsqu’on me propose de passer une audition, car ça se bouscule au portillon et les décideurs ont l’embarras du choix.

Une femme est finalement choisie pour interpréter Macbeth. Comment cette décision contribue-t-elle au propos du film, notamment en termes de représentation ou de subversion des attentes du public ?

Je trouvais que ce retournement final trouvait sa place dans l’air du temps, qui prône légitimement l’égalité des sexes. Ça pousse également à réinterpréter le scénario sous l’angle de la vanité dans toute l’acception du terme : l’aspiration de nos deux comédiens était vaine tandis que leur joute était vaniteuse. Au passage, j’en profite aussi pour égratigner le « woke » made in Hollywood. Au départ, le phénomène « woke » est louable et salutaire puisqu’il désigne le fait d’être conscient des injustices endurées par les minorités ethniques, sexuelles ou religieuses. Mais l’usine à rêves, qui est également une machine à sous, a récupéré ce phénomène par clientélisme. Cette récupération, ce progressisme de façade, est palpable lorsqu’au lieu de créer de nouveaux personnages comme Ellen Ripley ou Sarah Connor, on se borne à féminiser le personnage du Captain Marvel ou le casting du film SOS Fantômes. M’enfin, les choses évoluent dans la bonne direction depuis peu, je pense à Furiosa notamment. Ce twist n’est jamais qu’une petite pique en manière de pirouette.

Qu’est-ce qui a été le plus laborieux à mettre en place pour le néo-réalisateur que vous êtes ?

Tous les intervenants étant bénévoles (le film est produit par cette association de fait baptisée RIEN DANS LES POCHES), il a fallu jongler avec les différents emplois du temps. Nous ne sommes pas précisément des Kinoïtes, mais ce court a été tourné en cinq fois deux heures, dans des conditions proches du mouvement Kino (entraide, budget zéro, délai limité…). Le plus compliqué a donc été de planifier, mais aussi de garder le cap. Je tiens à remercier chaleureusement tous ceux qui ont contribué à l’aventure, à commencer par mes acteurs : Fabien, Didier, Jonathan, Johnny, Joëlle, Pascal et Katia.


Teaser : https://www.youtube.com/watch?v=TihasRQhXd4&


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