États-Unis, anatomie d’une démocratie : des institutions imparfaites

Dans États-Unis : Anatomie d’une démocratie, Thomas Snégaroff et Romain Huret rendent compte des mutations qui ont façonné la démocratie américaine au fil des siècles. À travers 30 questions-réponses regroupées en plusieurs chapitres, les auteurs analysent les fondements, les contradictions et les crises qui rendent le modèle démocratique états-unien à la fois fonctionnel et vulnérable. 

Depuis une vingtaine d’années, la démocratie américaine est questionnée, mise en cause, marquée par des épisodes de contestations électorales qui altèrent sa légitimité. Dès l’introduction de leur ouvrage, les auteurs rappellent les épisodes les plus aigus de l’histoire récente : la saisie de la Cour suprême lors de l’élection de 2000, où George W. Bush l’emporta sur le fil face à Al Gore, les doutes soulevés à peu de frais sur le certificat de naissance de Barack Obama ou encore le système du winner-takes-all qui tend occasionnellement à couronner des candidats pourtant minoritaires en voix. Ces événements témoignent avant tout d’une polarisation extrême du débat politique où chaque camp perçoit l’autre comme une menace pour l’intégrité même de la démocratie.

L’apogée de cette tension a probablement été atteint lors de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 par des partisans de Donald Trump, fait d’armes longuement commenté dans l’ouvrage et énième preuve de la vulnérabilité actuelle du système démocratique américain. Mais cette fragilité prend également des formes plus retorses. Ainsi, le camp conservateur, attaché à une lecture littérale de la Constitution, refuse généralement toute interprétation de texte sortant du cadre strict fixé par les Pères fondateurs, tandis que des inégalités dans le processus électoral favorisent de facto la surreprésentation des petits États au Congrès – le vote d’un citoyen du Wyoming compte par exemple environ 70 fois plus que celui d’un habitant de Californie ! Ces tensions rendent plus urgente que jamais cette question : la démocratie américaine peut-elle se réinventer ou risque-t-elle de s’effondrer ?

Les racines profondes de la fragilité démocratique

Thomas Snégaroff et Romain Huret remontent aux fondements mêmes de la démocratie américaine pour mieux en comprendre les failles structurelles. Et cela débute par les doutes de John Adams, Père fondateur, quant à la viabilité d’une démocratie pure. Plus concrètement, le système américain s’est construit sur un paradoxe : alors que certains croyaient possible d’intégrer les esclaves dans le corps civique, d’autres, notamment dans le Sud raciste, refusaient de les considérer comme des citoyens à part entière. La guerre de Sécession, longuement évoquée, rappelle d’ailleurs comment les questions de l’esclavage et de la ségrégation ont profondément divisé le pays. Ce n’est que dans les années 1960, grâce au mouvement des droits civiques, que les mécanismes ségrégationnistes ont cessé, bien que des discriminations informelles persistent, notamment lors des élections, par des contrôles d’identité ciblés ou des dispositifs d’exclusion visant en premier lieu, tacitement, les votants afro-américains.

L’ouvrage ne se limite toutefois pas à une analyse des crises internes. Les auteurs abordent aussi les paradoxes de la politique étrangère américaine et son rôle messianique autoproclamé, nourri par la forte religiosité du pays. Thomas Snégaroff et Romain Huret citent à juste titre Mark Twain, qui dénonçait déjà l’impérialisme américain au tournant du XXe siècle. En observateur critique de la modernisation de son pays, le célèbre romancier voyait, en sus, dans l’expansion industrielle et capitaliste une menace pour les valeurs démocratiques originelles.

Cette dimension impérialiste s’est renforcée au XXe siècle, avec l’interventionnisme croissant des États-Unis sur la scène internationale. Les auteurs détaillent les paradoxes d’une nation qui, tout en prônant la liberté, engage des guerres pour le moins controversées, comme celle du Vietnam, bientôt battue en brèche par les étudiants et le mouvement hippie. Ils rappellent que de nombreux conscrits afro-américains avaient le sentiment que cette guerre n’était pas la leur. Le mouvement contre-culturel, vigoureusement opposé à ce conflit, s’est caractérisé par un rejet radical de l’ordre établi, annonçant les luttes et les tensions profondes qui allaient marquer les décennies suivantes.

Guerre culturelle et conservatisme : l’émergence d’une nouvelle Amérique

Les années 1960 constituent un tournant dans l’histoire américaine, à la fois en termes de revendications sociales et de réalignements politiques. Richard Nixon, figure centrale de cette période, a su canaliser la colère d’une « Amérique silencieuse » contre les mouvements progressistes visibles dans les médias et dans la rue. Sa victoire en 1968 incarne, selon les auteurs, le début des guerres culturelles qui continuent de diviser le pays aujourd’hui. Nixon, et plus tard Ronald Reagan, ont en effet consacré le triomphe d’un conservatisme résolu à s’opposer aux avancées sociales des années 1960.

États-Unis : Anatomie d’une démocratie illustre avec finesse comment ces guerres culturelles, exacerbées par les crises économiques des années 1970 et les chocs pétroliers, ont conduit au raz-de-marée conservateur de 1980. Ronald Reagan, en qualifiant l’URSS d’« Empire du mal », emprunte une rhétorique belliqueuse qui justifie une hausse du budget des armées… financée par une réduction des services sociaux. 

États-Unis : Anatomie d’une démocratie parvient, chapitre après chapitre, à synthétiser avec succès deux siècles de démocratie américaine, tout en soulignant ses nombreuses contradictions et fragilités. À travers des textes didactiques et bien documentés ainsi que des infographies claires, les auteurs montrent que si la démocratie états-unienne peut parfois être en crise, elle n’en reste pas moins résiliente. Ils témoignent aussi des racines historiques des tensions actuelles, une objectivation qui fait toute la pertinence de ce tour d’horizon. 

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J.F.


États-Unis : Anatomie d’une démocratie, Thomas Snégaroff et Romain Huret –

Les Arènes, octobre 2024, 144 pages

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