Magritte en 400 images : dévoiler l’invisible

Dans son ouvrage Magritte en 400 images, paru aux éditions Hazan, Julie Waseige revient sur la trajectoire artistique de René Magritte, l’un des peintres les plus énigmatiques du surréalisme. En s’appuyant sur son œuvre, elle montre comment l’artiste belge utilise des objets et des images familiers pour révéler l’invisible et interroger les certitudes perceptuelles du public. De ses débuts influencés par le futurisme et le cubisme à sa période « vache », en passant par ses expérimentations surréalistes, c’est tout Magritte qui nous est conté, en mots mais surtout en images.

René Magritte commence son parcours artistique à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles entre 1916 et 1921. Durant cette période, il se lie avec plusieurs figures avant-gardistes influencées par les courants modernistes comme le futurisme et le cubisme. Fasciné par l’abstraction et les œuvres géométriques de Pierre-Louis Flouquet et Pierre Bourgeois, Magritte se tourne vers une peinture aux compositions géométriques audacieuses et aux thèmes futuristes, explorant des scènes industrielles et des objets modernes. Sa rencontre avec E.L.T. Mesens, un musicien et compositeur, approfondit son intérêt pour le futurisme, même si rapidement, il prend ses distances avec ce mouvement à cause de ses dérives idéologiques liées à Benito Mussolini.

René Magritte explore également le cubisme à travers des œuvres influencées par Fernand Léger et Albert Gleizes. Ces expérimentations artistiques sont pour lui un moyen de déconstruire les conventions picturales et de redéfinir la représentation visuelle. Cette phase de sa carrière est caractérisée par une volonté de réinventer le langage artistique, un objectif qu’il poursuivra tout au long de sa vie. Sa découverte de la reproduction du Chant d’amour de Giorgio de Chirico en 1923 marque à cet égard un tournant, puisqu’elle oriente Magritte vers une esthétique où le mystère des objets et la profondeur de leur signification l’emportent sur leur apparence.

Période Noire 

La « période noire » de René Magritte s’étend de 1926 à 1930. Elle est marquée par un traitement de thèmes plus sombres et par des compositions volontiers troublantes. Le peintre développe alors un style où les objets familiers sont transformés en quelque chose de profondément étrange, souvent par des techniques de juxtaposition et d’isolation. Dans des œuvres comme Le Jockey perdu (1926), il introduit des éléments inattendus et abstraits pour susciter des émotions de désorientation, voire de malaise.

Julie Waseige rappelle qu’un motif récurrent de cette période consiste en l’absence de visage. René Magritte masque parfois ses protagonistes, avec des objets ou des voiles, comme dans L’Histoire centrale (1928), ou les remplace par des mannequins sans traits distinctifs. Ces œuvres ont souvent été interprétées sous l’angle autobiographique, parfois comme une référence au suicide de sa mère, bien que l’artiste soit resté évasif à ce sujet. Durant cette période, René Magritte utilise également des techniques de collage inspirées de Max Ernst, combinant des éléments disparates pour créer des compositions qui défient la logique visuelle.

Les expérimentations stylistiques

Après la Seconde Guerre mondiale, René Magritte adopte un changement stylistique marqué, sur lequel l’ouvrage revient spécifiquement. Il passe d’un ton sombre à un style plus coloré, ce qu’il appelle le « surréalisme en plein soleil ». Inspiré par des techniques impressionnistes, il cherche à introduire une nouvelle vitalité dans ses œuvres. Cependant, cette nouvelle orientation picturale ne trouve pas l’approbation unanime des cercles surréalistes, notamment de la part d’André Breton. Lors de l’Exposition internationale du surréalisme de 1947, ses œuvres sont mal reçues, ce qui incite René Magritte à se distancier de cette approche. Cette période restera une parenthèse dans sa carrière. Il revient par la suite à une palette plus restreinte.

L’exposition de 1948 à Paris, marquant sa « période vache », représente une autre provocation stylistique. René Magritte décide de présenter une série de tableaux grossièrement peints et d’apparence caricaturale pour se moquer de l’élitisme artistique parisien. Si cette série choque le public, elle reflète aussi le désir de l’artiste belge de défier les conventions artistiques et de s’engager dans un dialogue critique avec le spectateur, en mettant à l’épreuve son regard et son jugement.

L’invisible révélé par le visible

Dans les dernières années de sa carrière, René Magritte continue d’explorer les rapports entre le visible et l’invisible. En élargissant son répertoire d’objets, qu’il adore subvertir, aux astres comme le Soleil et la Lune, il joue sur la perception individuelle de ces éléments universels. Par exemple, dans Le Chef-d’œuvre ou les mystères de l’horizon (1955), il invite à une réflexion poétique sur ce qui est visible et ce qui est caché. Magritte reste attaché à sa méthode d’investigation poétique, s’employant à dévoiler l’inconnu à travers le connu, une stratégie qui caractérise toute son œuvre.

La vie du peintre, bien que calme et bourgeoise après la guerre, contraste fortement avec l’aspect subversif et déroutant de son art. Il reste fidèle à son approche paradoxale de la peinture, utilisant des éléments ordinaires pour tromper les attentes et interroger le mystère du monde. Ses œuvres tardives, comme La Grande Guerre (1964), continuent d’explorer le visible cachant l’invisible et de susciter un état de perplexité poétique chez le spectateur. 

L’apparence est également questionnée à travers des modalités sémiologiques, comme c’est le cas avec le célèbre tableau La Trahison des images (1929), qui représente une pipe tout en affirmant que non, « Ceci n’est pas une pipe ». Cette œuvre reste emblématique de la philosophie de Magritte sur la relation entre l’image et la réalité. Le tableau ne remet pas seulement en question la forme extérieure ; il illustre également la distinction entre un objet et sa représentation.

S’intéressant à ces questions, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’un essai intitulé Les Mots et les Images, le peintre belge démontre que le langage est fondamentalement arbitraire. Les mots ne correspondent pas nécessairement aux objets qu’ils désignent. Il pousse cette réflexion dans ses tableaux, et notamment dans La Clef des songes (1930), où il joue avec les désignations incorrectes pour remettre en question notre compréhension du langage et de l’image.

Magritte en 400 images fait état d’une carrière riche, plurielle, polysémique. René Magritte n’a jamais cessé d’interroger la représentation et la perception. En présentant son œuvre, Julie Waseige démontre que l’artiste belge a toujours cherché à défier les certitudes et à élargir le champ de la pensée visuelle. Avec lui, il est question de transcender les objets représentés pour toucher à l’essence de la réalité et de l’imaginaire. Et c’est souvent fascinant.

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J.F.


Magritte en 400 images, Julie Waseige – Hazan, août 2024, 440 pages 


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Une réponse à « Magritte en 400 images : dévoiler l’invisible »

  1. Avatar de Claes Oldenburg : l’art pop qui dévore l’ordinaire – RadiKult'

    […] notamment par René Magritte et Salvador Dalí, l’artiste américano-suédois manipule les échelles et les contextes pour […]

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