
Les éditions Glénat publient Randy Shilts et la fake news du patient zéro, de Clément Xavier et Héloïse Chochois. Les auteurs y présentent une star du journalisme américain, peu connue en France, et son enquête visant à remonter aux origines du SIDA, à une époque où la maladie était encore qualifiée de « cancer gay ».
Randy Shilts (1951-1994) était un journaliste et écrivain américain bien connu dans les cercles homosexuels et célèbre pour son travail pionnier sur la crise du SIDA dans les années 1980. Il a en effet été l’un des premiers journalistes grand public à couvrir la pandémie, à une époque où peu de gens, même au sein des médias, prenaient la menace au sérieux, et où la communication autour de cette maladie était sciemment réduite à sa portion congrue.
Randy Shilts et la fake news du patient zéro se situe au moment où le journaliste prend ses quartiers au San Francisco Chronicle, au début des années 1980. Son travail pour The Advocate, un magazine gay, ainsi que sa biographie portant sur Harvey Milk, premier élu ouvertement homosexuel de Californie, lui a ouvert les portes de la presse généraliste à gros tirage. Au fil de ses investigations, il prend conscience qu’une forme rare de cancer frappe de plus en plus de jeunes personnes en pleine force de l’âge. Il est alerté par le fait que ces malades qui apparaissent comme une anomalie statistique sont tous homosexuels…
Au San Francisco Chronicle, Randy Shilts a fort à faire pour convaincre sa hiérarchie de consacrer des sujets à cette question. La maladie du SIDA était alors souvent ignorée ou stigmatisée, en particulier dans la communauté homosexuelle. Qu’importe, le journaliste s’engage à sensibiliser le public sur cette épidémie dévastatrice, aidé en cela par une source issue du Centre des maladies infectieuses. Comme le rapportent Clément Xavier et Héloïse Chochois, son travail a été crucial pour prévenir le monde de la gravité de la situation.
Mais pourquoi le titre de cet album évoque-t-il alors une fake news ? C’est simple, pour obtenir l’attention du public et convaincre son éditeur, Randy Shilts a schématisé les chaînes de transmission du SIDA et prêté à un hypothétique patient zéro, effectivement responsable de plusieurs contaminations, des intentions criminelles qui n’étaient pas du tout les siennes. Un sensationnalisme coupable, qui aura le mérite de jeter une lumière profuse sur la maladie mais l’immense inconvénient de salir le nom d’un steward canadien qui ne faisait jusque-là l’objet que de louanges… Et dont le seul tort aura été de vivre sa sexualité librement.
En 1987, Randy Shilts publie And the Band Played On: Politics, People, and the AIDS Epidemic, un ouvrage de non-fiction qui documente en détail l’émergence et la propagation du SIDA, ainsi que les réponses, souvent inadéquates, des autorités politiques et médicales. Ce livre devient rapidement une œuvre emblématique sur la crise du SIDA et a joué un rôle central dans l’évolution de la perception publique de la maladie. Il a été largement salué pour sa rigueur journalistique. Randy Shilts a ainsi tourné la page de la désinformation et renoué avec sa respectabilité originelle.
Randy Shilts et la fake news du patient zéro narre cette histoire sans rien négliger des singularités de la communauté homosexuelle de l’époque. Ainsi, alors qu’il tente par mesure de prévention de faire fermer un sauna constituant un épicentre de la contagion, Randy Shilts se heurte au désir de liberté et aux symboles puissants qui animent les gays, dont les droits ont été trop souvent bafoués pour accepter le moindre recul. Clément Xavier et Héloïse Chochois mettent par ailleurs en vignettes des individus conscientisés, engagés pour leur cause, désireux d’être traités équitablement. Cette dimension constitue l’autre poumon narratif de cet excellent roman graphique.
J.F.

Randy Shilts et la fake news du patient zéro, Clément Xavier et Héloïse Chochois –
Glénat, août 2024, 160 pages

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