Petite grande, de l’agression à la reconstruction

Roman graphique de Lauriane Chapeau et Violette Benilan, Petite grande paraît aux éditions Glénat. Il fait état, avec pudeur et profondeur, des abus sexuels, de la mémoire traumatique et des écueils rencontrés par les victimes au moment de se reconstruire. À travers le parcours de Lauriane, le récit s’attarde sur les stigmates laissés par ces traumatismes et la difficile quête de l’émancipation, tout en mettant en lumière les tabous et les silences qui entourent encore ces questions dans notre société.

Dès les premières pages, Petite grande nous confronte aux souvenirs défaillants d’une petite fille qui, face à l’épreuve, s’est réfugiée dans le déni et le silence. Lauriane, comme ses camarades de CP, a subi les attouchements de son maître d’école, une figure d’autorité supposée bienveillante, derrière laquelle se cache en réalité un prédateur sexuel. Sans bruit, au quotidien, l’équilibre de ces écoliers est rompu, leur intimité violée, sans que personne soupçonne les scènes atroces qui se déroulent derrière les portes closes des salles de classe.

Le silence n’est brisé que tardivement, par les accusations portées par la petite sœur de Lauriane, aussitôt suivie par d’autres enfants. La condamnation de l’enseignant par la justice n’est alors qu’un cataplasme sur une jambe de bois : elle n’efface pas les traces laissées dans les esprits des jeunes victimes, elle n’accélère pas la reconstruction de ces gamins marqués à jamais par l’infamie. Petite grande relate ces événements éprouvants et traumatiques, les heurts avec l’hypocrisie des adultes, complices par cécité ou dénégation, puis les souvenirs douloureux qui refont surface avant, enfin, d’initier le processus par lequel les victimes reprennent pied et recouvrent leur autonomie – physique, émotionnelle, existentielle. 

L’adolescence de Lauriane nous est présentée comme un véritable champ de bataille, où les réminiscences du passé viennent hanter chaque instant. Elle est confrontée à une double peine : d’une part, la souffrance liée à son amnésie partielle, qui la plonge dans un état de confusion et de perte de repères ; d’autre part, les difficultés sexuelles qui surgissent comme un écho cruel aux abus subis. Le regard des autres devient un fardeau supplémentaire à porter. Entre frigide et nymphomane, Lauriane a le choix de l’étiquette, mais pas celui de la quiétude. Loin de se laisser abattre, elle se rebelle, contre tout et tous, puis entame un processus de réappropriation de son corps et de sa sexualité, une libération accidentée mais encourageante.

Petite grande questionne plus largement. Les institutions ont échoué à protéger les enfants dont elles avaient la charge. La communication a fait défaut à de nombreuses reprises. La culpabilité est contrariée par les circonstances atténuantes qu’on cherche à lui accoler hâtivement. La peur et la honte dominent quand le courage fait profil bas. Mais au final, Lauriane apprend à s’aimer, à aimer les autres et à devenir la femme indépendante qu’elle aspire à être. La maternité constitue un tournant décisif dans sa vie. Elle doit désormais protéger son enfant du monde qui l’a tant blessée. Sans doute qu’en protégeant sa fille, Lauriane vient aussi épauler et réconforter l’enfant meurtri qu’elle a été.

Petite grande est un album puissant et sensible. En noir et blanc, il explore avec sincérité les chemins tortueux de la reconstruction après l’abus sexuel. À travers le parcours de Lauriane, les auteurs dépeignent non seulement les conséquences psychologiques de tels traumatismes, mais aussi la force de résilience qui permet, malgré tout, de se reconstruire.

Fiche produit Amazon

J.F.


Petite grande, Lauriane Chapeau et Violette Benilan – Glénat, août 2024, 136 pages


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