Cinéma spéculations : quand Tarantino s’épanche sur le septième art

Les éditions J’ai lu proposent en version poche l’ouvrage Cinéma spéculations de Quentin Tarantino, une célébration passionnée et érudite de l’art filmique, et particulièrement celui des années 1970, qu’il considère comme révolutionnaire et séminal. 

En passant librement d’une œuvre à l’autre, Quentin Tarantino explore la manière dont les films des années 1970, ancrés ou non dans le Nouvel Hollywood, ont défié les conventions établies pour embrasser des thèmes jusque-là peu portés sur grand écran, mais également des techniques narratives innovantes. Le réalisateur de Pulp Fiction examine l’impact de ces longs métrages sur la culture populaire, verbalise leur influence sur sa propre carrière et déconstruit les images trompeuses qui leur sont parfois associées. Ses commentaires, aussi passionnés qu’analytiques, permettent de problématiser l’évolution de l’industrie cinématographique, en mettant en lumière la créativité et la transformation du médium à travers le temps.

Dans les années 1970, le vieil Hollywood se meurt et une tripotée de jeunes réalisateurs issus des écoles de cinéma se taille la part du lion. Quentin Tarantino ne s’y trompe pas quand il écrit que « ces cinéastes-auteurs anti-establishment étaient tous aussi désolés de voir l’ancien système faire faillite que les révolutionnaires français l’étaient de voir Marie-Antoinette quitter Versailles ». Désormais, les réalisateurs peuvent traiter sans censure les sujets autrefois tabous. La sexualité et la violence sont abordées de manière frontale, contrastant avec le style codé et indirect que devait par exemple épouser un Alfred Hitchcock.

Convoqué à plusieurs reprises dans Cinéma spéculations, ce dernier a vu sa grammaire cinématographique empruntée et recyclée par Brian De Palma. Quentin Tarantino explore ainsi les ponts, nombreux, reliant Sœurs de sang et la geste hitchcockienne. Le dédoublement de la personnalité aperçu dans Psychose ou le meurtre observé derrière une vitre rappelant Fenêtre sur cour sont par exemple cités, de même que la musique si caractéristique de Bernard Herrmann. Cela permet au cinéphile qu’est Quentin Tarantino d’illustrer comment l’héritage du passé, en l’occurrence celui du maître du suspense, continue d’influencer le cinéma contemporain, dans une continuité faite d’hommages, de détournements et de doubles sens. 

Autre film détaillé dans l’ouvrage : Taxi Driver, de Martin Scorsese. Tarantino se penche sur le personnage de Travis Bickle, qu’il décrit comme un archétype de l’homme solitaire égaré dans les grandes villes américaines, sans famille ni amis. Le chauffeur de taxi est un homme auquel le spectateur s’attache dans un premier temps, mais qui sombre ensuite progressivement dans la folie, jusqu’à devenir un « sociopathe prêt à exploser comme une bombe à retardement ». L’auteur questionne également le point de vue du film sur le racisme, ne voyant finalement en Bickle qu’un homme frustré et diminué qui reporte son ressentiment non sur les puissants mais sur des personnes encore plus démunies que lui.

Ailleurs, Quentin Tarantino évoque l’adaptation du roman Délivrance par John Boorman, qu’il décrit comme une œuvre originellement lacunaire qui gagne en puissance lorsqu’elle est transposée au cinéma. Il confesse son admiration pour Sylvester Stallone, notamment à travers l’histoire de l’écriture de Rocky. Le cinéaste défend vigoureusement La Taverne de l’enfer, qu’il considère comme la suite naturelle du film de John G. Avildsen, et estime par ailleurs que Rocky II surpasse le premier film grâce à une profondeur accrue, apportée par l’identification non seulement à Rocky Balboa mais aussi à Apollo Creed. L’Inspecteur Harry est quant à lui appréhendé à l’aune du conservatisme (mais pas seulement) et Tarantino poursuit de cette manière sa promenade à travers différents films emblématiques des années 1970 et du Nouvel Hollywood – sans exclure des œuvres plus mineures, comme Rolling Thunder de John Flynn, importante dans sa décision de devenir réalisateur. 

Avec Cinéma spéculations, Quentin Tarantino nous entraîne dans une exploration passionnée et passionnante de l’histoire du cinéma. Il mêle analyses et anecdotes personnelles, initiant de ce fait une perspective précieuse sur les films et les réalisateurs qui ont marqué son propre parcours. Il ne faudrait cependant pas se tromper sur la marchandise : il n’est nullement question ici d’un essai académique sur le septième art mais bien d’un monologue érudit, parfois un peu décousu, sur les œuvres qui ont construit et accompagné la cinéphilie de l’auteur. Et c’est déjà très appréciable.     

J.F.


Cinéma spéculations, Quentin Tarantino – J’ai lu, mai 2024, 544 pages

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