Le Cercle rouge : le casse du siècle

Le Cercle rouge (1970) – Réalisation : Jean-Pierre Melville.

Dans Le Cercle rouge, Melville, en pleine possession de ses moyens, va creuser un sillon déjà bien préparé par les films précédents. Les motifs sont familiers : le deuxième souffle accordé à celui qui quitte la prison (Delon, ou pour Montand, ici, les vapeurs délétères de l’alcool), la constitution d’une équipe d’élite, la savante préparation du casse et sa réalisation au cordeau. Les espaces sont tout aussi coutumiers : le train, les chassés-croisés, les boîtes de nuit où dansent, superbement rangées, des femmes à qui on réserve encore la seule fonction du décorum. 

Comme toujours, Melville prend son temps. 2h25 semble être pour lui la durée parfaite : elle permet une galerie de personnages assez développée, et inscrit dans la durée un projet dont l’avènement sera le lieu d’une tension proportionnelle. Si les protagonistes semblent un peu plus dénués d’épaisseur psychologique que d’habitude (à l’exception évidente du Samouraï), la constellation de saynètes leur étant consacrée permet un tableau finalement assez touchant : Montand et sa rédemption, Bourvil et ses chats, Delon et son désir de revanche.

Cette ambition d’un récit au long cours est une nouvelle fois la force du film. Inscrite dès le titre et la citation liminaire, la volonté d’une juxtaposition de destinées parallèles vouées à se croiser occasionne un montage et un équilibre d’une parfaite maîtrise. La première partie est celle de la dispersion : par l’évasion, par la libération et la traque. La deuxième, celle de la réunion autour du lieu du braquage, cette concentration spatiale resserrant brutalement pour aboutir, ce n’est pas une surprise dans l’œuvre de Melville, à une implosion généralisée ; on notera d’ailleurs que celle-ci est particulièrement abrupte dans l’économie générale du film, et occasionne une rupture de rythme qui peut un peu déconcerter. 

Le contrôle démesuré de Melville pour son univers est un des sujets du film lui-même. On le voit par le motif de l’œil, souvent présent, qu’il s’agisse de l’œilleton de la porte de la prison, des caméras de surveillance ou de l’œil derrière la cagoule des braqueurs. C’est aussi bien évidemment le cas dans la séquence centrale, film dans le film qui pourrait être considéré comme l’écrin de ce joyau. Le braquage est la démonstration de force de tout le talent du cinéaste réuni en une séquence de 25 minutes absolument somptueuses. Sans dialogue ni musique, rivée en temps réel aux gestes méticuleux et millimétrés des braqueurs, elle diffuse une tension extraordinaire et une exploration de l’espace véritablement virtuose. Une à une, les cloisons cèdent, dans le silence et sur des coussinets, et cette violence sur du velours est véritablement une séquence d’anthologie. 

Le pessimisme tragique de Melville a beau reprendre ses droits par la suite, c’est bien paradoxalement un plaisir jubilatoire qui sourd de son film : froid, clinique, mais d’une maîtrise visuelle si forte qu’elle en est jouissive.

Éric Schwald


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