Colt & Coal : l’Amérique charbon

Colt & Coal, de Vincent Brugeas et Mr Fab, paraît aux éditions Glénat. Son récit entremêle suspense, enjeux sociaux et dynamiques de pouvoir, dans une sorte de thriller social dont le cadre n’est autre que les mines de charbon américaines…

En 1894, la ville de Newcastle vit au gré de l’exploitation minière, vitale pour l’économie locale et reposant en grande partie sur l’immigration tchèque, prête à braver tous les dangers dans l’espoir d’une vie meilleure. Aux mains d’Horace Frick, cette industrie évolue en vase clos, hors de toute juridiction policière. Ce n’est ainsi qu’à reculons que le shérif se déplace jusqu’à la mine à la suite du meurtre d’un contremaître. L’affaire pourrait en effet provoquer quelques étincelles. Kamil était un informateur. Il prévenait tout mouvement séditieux et avait rapporté à ses supérieurs la formation prochaine d’un syndicat. L’occasion est trop belle pour Horace Frick : avec l’aide du shérif, au mépris des preuves, il organise l’inculpation des onze mineurs impliqués dans ce mouvement ouvrier naissant.

Quand le shérif arrive à la mine, il observe les visages défaits, sales et creusés des mineurs. En quelques vignettes, Vincent Brugeas et Mr Fab donnent le ton. Entre les immigrés tchèques et leur employeur, les tensions sont vives : l’exploitation n’a que trop duré et beaucoup espèrent l’élection démocratique du prochain contremaître. Le combat pour la justice qui s’initie suite aux différents meurtres commis sur place – il y en aura plusieurs – se transforme rapidement en un miroir des luttes plus vastes qui secouent la société américaine de l’époque. Dorothy, qui ne laisse pas le shérif insensible, lui demande de l’empathie et de la compréhension envers les mineurs tchèques : la jeune préceptrice de la famille Frick prône la tolérance et refuse la déshumanisation qui touche ces immigrés, avec qui elle partage des origines communes.

Colt & Coal fait parfaitement état de la précarité qui caractérise cette communauté. Les corps éprouvés, les droits bafoués, les individualités aliénées cohabitent avec ces enfants à qui l’on refuse l’entrée à l’école de Newcastle et contraints de suivre une éducation parallèle, presque clandestine. Avec des moyens dérisoires, puisque soixante élèves se partagent tout au plus quelques livres. Inévitablement, cette Amérique qui ostracise et se fourvoie dans des actions injustes concourt à sa propre perte. La tension monte, irrépressible, et Horace Frick préfère appeler des renforts armés plutôt que les agents fédéraux. Il veut mater la rébellion et mettre fin à l’émeute qui se prépare. À ce stade, l’œuvre a depuis longtemps dépassé le cadre du simple western-thriller pour s’ériger en critique sociale de l’Amérique de la fin du XIXe siècle, abordant avec finesse les questions d’immigration, de racisme et d’exploitation. 

Car ce que narre Colt & Coal avant tout, c’est l’échec de la cohabitation et le pouvoir avilissant de l’argent. Avec une révélation finale réussie et fort de personnages secondaires étoffés – dont Sam, l’adjoint au shérif qui peine à se faire respecter –, l’album déploie un récit haletant, déconstruit la nature humaine et sonde les maux sociaux, sans réelles possibilités de rédemption. Si ce n’est par le sang et la vengeance… 

J.F.


Colt & Coal, Vincent Brugeas et Mr Fab – Glénat, avril 2024, 72 pages


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