Six Feet Under : quand la mort se fait protagoniste 

Créée par Alan Ball, la série télévisée Six Feet Under hisse la mort au rang de personnage central, aux multiples facettes. Elle est à la fois un événement déclencheur, un métier, une ouverture narrative et un thème omniprésent, exploré avec une profondeur inégalée. 

La mort du père : le catalyseur familial

La mort s’invite dès le premier épisode de Six Feet Under à travers le décès soudain de Nathaniel Fisher, père de famille et propriétaire de la maison funéraire Fisher & Sons. Son funeste accident de la circulation n’est pas qu’un simple fait narratif ; il agit comme un catalyseur qui va forcer chaque membre de la famille à communier avec les siens, à se confronter à ses propres démons, à revoir ses plans de vie. La perte du patriarche déclenche en effet une dynamique familiale des plus complexes, qui va donner tout son relief à la série, en révélant des secrets, des tensions, mais aussi et surtout des liens indéfectibles et bienveillants. Il s’agit pour Ruth de se reconstruire sans son époux. David doit reprendre l’entreprise familiale à la hâte, sans y être tout à fait préparé. Nate, le fils aîné, supportait mal le climat austère et pesant des pompes funèbres, et avait par conséquent pris ses distances. Mais dans l’épreuve, peut-il une nouvelle fois tourner le dos à ses proches ? 

La mort est mon métier

Six Feet Under bénéficie d’une singularité évidente : le métier de croque-mort y est exploré en détail, à travers le quotidien de la maison funéraire Fisher & Sons. Ce cadre professionnel, plus qu’un simple décor, devient un espace de réflexion sur le rapport à la mort dans la société contemporaine, à travers toutes les strates sociales, culturelles et religieuses. Les rituels funéraires, les interactions avec les familles en deuil et la gestion des corps, au cœur de la série d’Alan Ball, rendent compte d’une réalité souvent occultée, où la mort est à la fois une affaire douloureuse (pour les proches des défunts), commerciale (pour les Fisher) et familiale (pour tout le monde, selon des logiques distinctes). La série humanise le travail funéraire. Elle montre la compassion, l’empathie, mais aussi les difficultés et dilemmes moraux auxquels sont confrontés ceux qui en ont fait leur métier.

La mort comme lever de rideau 

Chaque épisode de Six Feet Under s’ouvre sur la mort d’un personnage, souvent inconnu des protagonistes principaux. Ces décès, variés dans leurs circonstances comme dans leurs impacts émotionnels, servent de prélude aux enjeux explorés dans l’épisode. Cette structure narrative originale permet d’aborder la mort sous toutes ses formes, dans sa banalité, son absurdité ou encore sa tragédie. Ces ouvertures se conçoivent aussi en miroir de la condition humaine, rappelant l’universalité de l’inéluctable tout en soulignant la diversité des vies qu’il fauche. Au travail, pendant ses hobbies ou dans des circonstances banales, la mort finit toujours par se manifester : elle cueille au hasard et c’est précisément ce qui permet à Alan Ball d’offrir à son public une telle épaisseur émotionnelle et thématique. 

La mort sous toutes les coutures

Malgré sa nature crépusculaire, Six Feet Under utilise également la mort comme source d’humour noir. Les situations absurdes ou ironiques qui entourent certains décès permettent d’injecter un peu légèreté dans la série, créant des ruptures de ton salutaires et formant un équilibre subtil entre le tragique et le comique. Par ailleurs, que ce soit la solitude, la culpabilité, le désir de rédemption ou la recherche de connexion, chaque défunt met en lumière les sentiments de ceux qui lui survivent, dont l’expression et les besoins peuvent sensiblement varier. Cette diversité a un pendant, que nous avons brièvement évoqué : les suicides, les morts violentes, les accidents les plus tragiques ou insignifiants produisent tous leur propre discours, souvent critique. Ici, c’est un enfant qui joue avec une arme à feu ; là, c’est un tueur fou mû par la vengeance ; ailleurs, c’est une banale piqûre d’abeille ou un atroce meurtre homophobe… 

La mort sans angle mort

Six Feet Under se distingue par sa volonté de montrer la mort ouvertement, sans tabou ni édulcoration. Que ce soit à travers les corps qu’elle laisse derrière elle, les émotions qu’elle suscite ou les questions existentielles qu’elle pose, la série aborde la mortalité dans toute sa crudité. Cette exposition sans fard, bien que parfois dérangeante ou très visuelle, force le spectateur à se confronter à sa propre vulnérabilité, à ses peurs et à sa perception de la finitude. Six Feet Under fait de la mort quelque chose qui dépasse son avènement, c’est-à-dire l’événement par lequel elle advient. La série la dépeint comme une expérience humaine fondamentale, névralgique, aussi riche en émotions qu’en enseignements. 

R.P.


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