
Les récentes observations du vidéaste français Adam Bros à propos de Netflix nous ont inspiré cet éditorial, qui peut être lu en complément d’une première analyse portant notamment sur les algorithmes de recommandation. Pourquoi les films Netflix sont nuls ?, se demande le YouTubeur spécialisé dans la culture populaire. Ses éléments d’explication permettent d’appréhender la plateforme sous un angle édifiant.
Netflix est devenu le symbole du contenu-roi, sauf que la couronne semble faite de papier plutôt que d’or. Adam Bros décrit l’entreprise californienne comme une gigantesque machine lancée dans une quête effrénée pour gagner l’attention des spectateurs. En se connectant au service de streaming, ces derniers ne s’attendent pas à consommer de l’art cinématographique : les films Netflix sont souvent conçus, comme l’explique le vidéaste, pour produire une sorte de tapisserie visuelle et auditive, destinée à être davantage vue qu’appréciée, consommée plutôt qu’analysée. Le spectateur peut ainsi continuer à scroller sur son téléphone tout en suivant de loin le programme qu’il a choisi – ou plutôt : celui que l’algorithme lui aura recommandé.
Les productions Netflix semblent destinées à être oubliées à peine le générique de fin lancé. La plateforme est souvent critiquée pour sa stratégie consistant à produire du contenu plutôt que des œuvres cinématographiques de qualité. Son approche orientée vers la quantité contribue à l’évidence à diluer la qualité globale de son catalogue de films. Et une chose, qu’Adam Bros épingle avec acuité, permet d’alimenter cette mécanique de la vacuité : la gratuité.
Une fois l’abonnement mensuel payé, Netflix n’exige plus rien du spectateur, et ce dernier lui rend bien en retour. Il peut regarder ce qu’il veut dans le confort de son domicile, sans surcoût, selon ses envies, en interrompant et en reprenant les programmes à sa guise. Cela a indubitablement abaissé la barre des exigences. Pourquoi se donner la peine de chercher le petit film d’auteur hongrois ou le drame intimiste japonais quand un océan de contenus divertissants, bien que moyens, voire médiocres, est à portée de clic, prêt à engloutir notre temps libre sans nécessiter le moindre effort intellectuel ? Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le spectateur de Netflix est moins un cinéphile qu’un consommateur passif. Il s’abreuve d’heures de films et de séries dans une relative indifférence. Adam Bros note que ses attentes sont en quelque sorte indexées aux conditions très accommodantes de visionnage.
Ainsi, l’absence de coût additionnel pour regarder un film spécifique sur Netflix, contrairement à l’achat d’un billet de cinéma ou d’un DVD, mais aussi le fait de rester chez soi au lieu de se déplacer dans une salle de projection, tendent à rendre l’expérience cinématographique moins précieuse, moins événementielle. Le film devient un produit de consommation rapide, à peine plus mémorable qu’une publicité regardée distraitement. La stratégie de Netflix, axée sur la quantité plutôt que sur la qualité, fait de chaque film, tout au plus, un ajout anodin dans un catalogue déjà pléthorique. Cela permet de maximiser les heures de visionnage, mais cela mine surtout l’essence même de ce qui fait le cinéma : un art capable de susciter émotions, réflexions et débats.
Au lieu de cela, Netflix sert des plats réchauffés, des comédies randomisées (qu’Hollywood a presque abandonnées), des histoires sans saveur concoctées dans les cuisines d’une industrie du divertissement de plus en plus standardisée. La plateforme et ses avatars ont peut-être gagné la bataille de l'(in)attention, mais à quel prix ? Celui d’une culture cinématographique appauvrie, où l’auteur s’est effacé derrière le faiseur, lui-même soumis aux injonctions des algorithmes et probablement trop conscient que son œuvre n’existera qu’à l’instant T, avant de disparaître des recommandations, et donc des mémoires. Mais qui donc a vraiment envie de cela ?
J.F.

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