
Le second tome de Mauvaise réputation paraît aux éditions Glénat. Antoine Ozanam et Emmanuel Bazin y reviennent sur l’histoire des frères Dalton et en profitent pour relater l’implantation de l’industrie américaine du cinéma à Hollywood…
Emmett Dalton, le personnage central de Mauvaise réputation, se retrouve à la croisée des chemins, entre une vie harassante partagée entre la boucherie et l’atelier de couture et une opportunité professionnelle quelque peu inattendue, dans l’industrie naissante du cinéma, friande de bonnes histoires et grande pourvoyeuse de westerns. Emmanuel Bazin et Antoine Ozanam dépeignent un ancien hors-la-loi repenti, désireux de s’acquitter d’un passé qu’il préfère commenter avec honnêteté plutôt que le couvrir d’un voile de pudeur.
Engagé comme conseiller par John Tackett en vue de porter le récit des Dalton sur grand écran, Emmett assiste de loin à l’installation des studios de cinéma en Californie. Le climat favorable et le prix encore modeste du foncier offrent en effet des conditions idoines au développement de Hollywood. Mais l’antihéros de Mauvaise réputation en subit les contrecoups et apparaît doublement hanté par ce passé qu’il ne cesse de revisiter : quand il n’est pas tenaillé par ses souvenirs, il est vilipendé par certains critiques qui, tels le sénateur Stubbs, lui reprochent de gagner de l’argent en exploitant une carrière de criminel.
Le récit s’attarde ainsi longuement sur les tourments intérieurs d’Emmett Dalton, en sondant ses regrets et en s’épanchant sur sa quête de rédemption. Ces explorations passent notamment par l’évocation de son frère Bill, égaré par la vanité et finalement vaincu dans le dernier souffle d’un destin tragique. Elles permettent aussi de prendre le pouls d’une fratrie parfois divisée, comme en attestent les désaccords éthiques entre Charley et Bob. Faut-il se contenter de détrousser la Wells Fargo, honnie par les petits propriétaires qu’elle a lésés, ou faut-il également faire les poches du quidam, au risque d’en perdre le soutien relatif ?
L’utilisation de couleurs désaturées renvoie à une époque révolue, qui peut rappeler les westerns classiques du cinéma. Cette technique visuelle renforce la sensation de nostalgie et d’éloignement temporel. Le peintre américain Edward Hopper semble également convoqué par Emmanuel Bazin tant ses jeux sur la lumière, les espaces et les postures résonnent avec les thèmes de la solitude et de la mélancolie.
Ces derniers ne sont pas étrangers à l’industrie du cinéma. Emmett Dalton se heurte à un monde où l’authenticité historique est souvent sacrifiée pour le spectacle. Insatisfait, l’ancien gangster est mû par une tension croissante qui souligne les limites de la représentation cinématographique de son histoire. C’est la raison pour laquelle il entreprend un récit parallèle, scriptural, plus intime, précis et proche des faits historiques.
Mauvaise réputation porte bien d’autres problématiques, de manière un peu plus superficielle : les réflexions d’Emmett Dalton sur le système judiciaire, les conditions de détention et la possibilité de rédemption, ses opinions sur la Prohibition (« plus d’argent dans les mauvaises poches ») ou encore ses regrets quant aux souffrances supportées par sa femme Julia nourrissent eux aussi le récit d’Antoine Ozanam. L’alternance entre le passé et le présent lui confère par ailleurs une structure narrative ingénieuse, permettant au lecteur de juxtaposer les expériences passées d’Emmett avec ses pensées actuelles.
Ce second tome de Mauvaise réputation tient finalement toutes ses promesses. En plus d’exposer l’histoire des Dalton, il brode avec talent autour du couple, de la rédemption, du cinéma et des motivations (pas seulement pécuniaires) des criminels. Les introspections de son personnage principal apportent une densité remarquable à un diptyque conçu avec soin et maîtrise.
J.F.

Mauvaise réputation (T.02), Antoine Ozanam et Emmanuel Bazin –
Glénat, janvier 2024, 72 pages

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