
L’artiste français Olivier Ledroit, bien connu des amateurs de bandes dessinées, est mis à l’honneur aux éditions Glénat, qui proposent, dans une superbe édition au format de 298 x 368 mm, un aperçu de son œuvre récente, plus d’une décennie après la parution du dernier artbook lui étant consacré.
Au-delà des contrées du crépuscule est un florilège des créations les plus récentes d’Olivier Ledroit, exposées dans un artbook aux dimensions généreuses. Prenant pour objet les quatorze dernières années de travail de l’illustrateur français, l’ouvrage réunit une somme significative de travaux artistiques, de peintures et d’illustrations, tantôt inédites tantôt conçues pour des expositions.
Celui qui a débuté sa carrière dans la bande dessinée avec Froideval aux éditions Dargaud (c’était à la fin des années 1980, avec Chroniques de la Lune noire) a depuis lancé sa propre maison d’édition, Nickel, au sein de laquelle il a donné vie à Requiem, Chevalier Vampire (2000-2012), en collaboration avec son collègue et ami Pat Mills. Il a aussi exploré d’autres horizons, allant de l’illustration pour Ubisoft à la publication de recueils artistiques, et s’est forgé une solide réputation que le présent artbook contribue à créditer.
C’est peu dire qu’Olivier Ledroit conjugue les techniques et les thèmes avec maestria. Ses inspirations se caractérisent par leur diversité, allant de la littérature fantastique aux comics en passant par les artistes contemporains (on songe notamment à Hayao Miyazaki, Milo Manara ou John Howe, qui s’est distingué pour son travail autour de et dans Le Seigneur des Anneaux). Ces singularités conceptuelles trouvent écho dans un style graphique unique, nourri par une utilisation délicate de l’aquarelle, la juxtaposition d’éléments fantastiques et historico-mythologiques, ainsi qu’un intérêt particulier pour les représentations iconisées et l’univers steampunk.
Ne trouvons-nous pas, ici, des personnages féminins aux airs biomécaniques, parfois armés et hostiles ? Là, des nus suggestifs ou plus démonstratifs, voire érotiques ? Une mise en relief d’engrenages complexes, des décors dessinés à traits fins, une esthétique tantôt gothique tantôt dystopique ? Olivier Ledroit est capable de nous plonger dans une scène d’action qui semble tirée d’une épopée fantastique, en usant de couleurs vives et saturées, dans des œuvres structurées comme une planche de bande dessinée, générant une sensation immédiate de mouvement et d’urgence. De portraiturer un Paris riche en détails, de s’adonner à l’heroic fantasy (des elfes, des fées, des anges…), de renoncer à la démesure pour se pencher sur les raffinements – surtout féminins – de la japonité…
Dans les premières pages de l’album, une image nous présente un paysage sépulcral dominé par une palette de couleurs ardentes avec des tons de rouge et d’orange suggérant un monde ravagé par la désolation. La figure centrale, éclairée différemment, parée d’une armure noire sophistiquée, se détache nettement de ce fond apocalyptique, notamment composé de crânes amoncelés. L’ensemble crée, avec un sens visuel aigu, une atmosphère lourde de désespoir et de fin du monde. À d’autres moments, l’artiste se rapproche davantage des teintes dorées de Gustav Klimt, dans des compositions plus douces et lumineuses, mais non moins inventives et étourdissantes. Alejandro Jodorowsky verbalise sa capacité de saisir en clerc microcosme et macrocosme, et le décrit comme un visionnaire qui puiserait tant chez Jack Kirby et Frank Miller que chez H.P. Lovecraft et J.R.R. Tolkien. Maxime Chattam et Michel-Édouard Leclerc y vont également de leurs commentaires, ce dernier mettant l’accent, à raison, sur l’amour des femmes et le fétichisme qui transparaissent dans les dessins d’Olivier Ledroit.
Toutes ses images, souvent très élaborées, plus rarement crayonnées de manière rudimentaire, sont chargées de références à la fois culturelles et historiques, reflétant un travail profond sur la symbolique et l’imaginaire collectif. Elles s’inscrivent dans une démarche artistique où le fantastique côtoie le mythologique, où la couleur exprime des émotions brutes et où la narration séquentielle a, par moments, également voix au chapitre. Au-delà des contrées du crépuscule est d’une grandeur et d’une pluralité étonnantes : les personnages hautement stylisés, aux expressions intenses et aux traits exagérés, augmentés d’éléments fantastiques, voisinent avec des paysages urbains dynamiques et vertigineux, donnant à voir les lumières artificielles du monde moderne, mais aussi ses structures massives et l’échelle expansive de l’homme sur son environnement. C’est brillant, dense et impérissable.
J.F.

Au-delà des contrées du crépuscule, Olivier Ledroit – Glénat, décembre 2023, 322 pages

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