
Au début des années 1930, dans une société se débattant avec les conséquences désastreuses de la Grande Dépression, une parenthèse cinématographique teintée de contradiction se dessine. Cette période se caractérise par une défiance croissante des studios majeurs à l’égard d’un code de censure qu’ils ont pourtant eux-mêmes initié, sans pour autant l’appliquer de manière rigoureuse. C’est dans ce contexte que se pose la question délicate de la représentation à l’écran de l’homosexualité, oscillant entre répression tacite et modalités d’exposition nuancées.
Le Motion Picture Production Code, dans sa version initiale de 1930, établissait une distinction nette entre l’amour pur, conforme aux lois divines et humaines, autorisé dans la limite de la décence, et l’amour impur, rejeté en vertu de ces mêmes lois. Cette dichotomie, qui exclut de facto toute représentation positive de l’homosexualité, reflète une approche profondément binaire des sentiments et des relations humaines, fondée sur un jugement moral intransigeant. De quoi condamner sans autre forme de commentaire l’homosexualité ? Eh bien, détrompez-vous.
Comme en atteste amplement Benjamin Campion dans l’ouvrage Homosexualité, censure et cinéma (LettMotif) – à l’origine de cet article -, le cinéma hollywoodien de cette époque n’est pas dépourvu de références homosexuelles, puisqu’environ 150 films de cette période mettraient en scène des personnages gays, lesbiens ou queer. Ces représentations, loin d’être dissimulées, étaient manifestes pour le public, bien qu’elles aient souvent été traitées sous un angle comique ou caricatural, en particulier pour les personnages masculins. Cela tendait à refléter les stéréotypes enracinés dans la société américaine des années 1930.
D’autres fois, c’est la projection d’une copie incomplète d’un film qui permet de contourner la censure, ainsi que le fait d’ignorer les multiples courriers et appels téléphoniques de la Commission. La comédie musicale Wonder Bar (1934) a usé de ces méthodes et ne fut nullement censuré en salles, Jack Warner remportant de ce fait son bras de fer avec le Hays Office.
Le traitement du lesbianisme se distinguait en revanche par une approche plus nuancée et moins portée sur la dérision. Des actrices telles que Barbara Stanwyck et Marlene Dietrich ont incarné des rôles lesbiens dépourvus des stéréotypes grotesques habituellement associés. Ainsi, dans Morocco (1930), Dietrich partage un baiser avec une femme lors d’une scène qui ne suscita pas de réaction significative. De même, Queen Christina (1933), avec Greta Garbo, présente une relation lesbienne de manière naturelle, sans provoquer de scandale. Aussi, Benjamin Campion note : « Quand il refuse de s’en tenir à l’allusion équivoque (laissant toute latitude aux studios de se défausser en cas d’attaques des censeurs), il arrive tout de même que le lesbianisme pré-Code se laisse aller à diégétiser la perversion de l’acte érotique si virulemment dénoncée par le Production Code. »
Cette « parenthèse enchantée » est également marquée par des représentations féminines plus problématiques, où les femmes se voient dépeintes comme vénales ou arrivistes. Malgré une certaine liberté de représentation pré-Code, les normes et préjugés de l’époque imposaient encore des limites considérables. Avec l’avènement de la PCA en 1934 sous la direction rigide du catholique orthodoxe ultra-conservateur Joseph Breen, un renforcement strict de la censure a mis fin à cette ère de représentation plus libre de l’homosexualité dans le cinéma hollywoodien.
R.P.

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