Winnie l’Ourson, anthologie d’une pièce maîtresse de la littérature enfantine

Certains personnages de la littérature jeunesse transcendent les époques et investissent des fonctions transmédiatiques. Parmi eux : Winnie l’Ourson, créé dans les années 1920 par Alan Alexander Milne. Présent dans les strips, à la télévision ou au cinéma, sans même compter ses innombrables produits dérivés, cet ourson plein de bonhomie et au goût prononcé pour le miel fait aujourd’hui l’objet d’une anthologie aux éditions Glénat. 

Winnie l’Ourson : Anthologie est un généreux recueil qui se présente en format horizontal, de 26 cm sur 22. Il rassemble les histoires de Winnie l’Ourson parues entre 1966 et 1986, sur une seule bande ou étendues sur une planche entière. La Forêt des Rêves bleus, qui accueille le jeune ours, est peuplée de personnages très typés – nous y reviendrons – et se teinte d’une légèreté qui doit évidemment beaucoup à l’insouciance de son protagoniste. 

À l’origine, Winnie était le fidèle compagnon en peluche du fils d’A.A. Milne, Christopher Robin. Ce jouet en apparence anodin a directement inspiré l’ourson orange que l’on connaît tous. Il serait toutefois impensable d’évoquer cet univers enfantin sans mentionner les rôles essentiels de l’illustrateur Ernest Shepard, qui lui donne corps, et de Walt Disney, qui s’intéresse à Winnie dans les années 1970, après avoir constaté l’enthousiasme de sa fille à son égard.

Dans la Forêt des Rêves bleus, l’imaginaire semble rejoindre la réalité. La fantaisie et l’amitié président à la destinée de Winnie et ses proches. En 1978, après avoir connu le succès au cinéma, le jeune ours devient le protagoniste d’une série de comic strips dans la presse quotidienne, renouant de ce fait avec ses racines originelles, qui remontent au London Evening News.

Cette anthologie nous transporte, avec nos âmes d’enfants, dans un monde où la simplicité se mêle à l’absurdité, où l’ourson aux rondeurs attachantes se lance dans des aventures souvent déconcertantes. De Tigrou prenant sa queue pour un serpent à Winnie déguisé en abeille pour étudier le fonctionnement d’une ruche en passant par les laïus professoraux de Maître Hibou ou les commentaires désillusionnés de Bourriquet, chaque récit participe à la construction d’un univers joyeusement décalé.

Des personnages-fonctions

En schématisant un peu, on pourrait relier chaque personnage à un archétype, voire à un trouble psychologique. Winnie représente l’innocence et les plaisirs simples. Porcinet, de nature anxieuse, incarne la timidité et la peur, mais aussi l’amitié et la loyauté. Tigrou, quasi hyperactif, nous donne à voir un exemple de l’extraversion et de l’énergie sans limites. Il est mû par l’optimisme, la confiance en soi et l’impulsivité. Bourriquet est vu comme un être profondément mélancolique, symbolisant la dépression ou la tristesse chronique. Maître Hibou est quant à lui associé à la sagesse et, parfois, à une forme de présomption. 

Tous ces traits de caractère vont nourrir les récits des auteurs et l’imaginaire des lecteurs. C’est peu dire, en effet, que les exemples abondent. Bourriquet affirme sans ciller : « Je refuse absolument de sourire ! » Winnie déclare à son sujet : « Si être malheureux lui fait plaisir, qui sommes-nous pour nous en mêler ? » Même les formules de politesse les plus banales semblent contrarier l’âne : « Si je reste ici assez longtemps, j’aurai entendu tous les clichés ringards du monde. » 

De son côté, Winnie apparaît obsédé par le miel, incapable du moindre effort, tellement distrait et simple d’esprit que cela en devient amusant. Il peut observer du matin au soir le déplacement d’un escargot et s’exclamer très sérieusement : « Quelle journée mouvementée ! » Ou ressentir un profond désarroi en apprenant que l’on n’a jamais rien sans rien. D’ailleurs, « respirer toute la journée l’épuise vraiment ». Pis, le jeune ours note, avec la philosophie qui le caractérise, qu’après avoir fait quelque chose, on peut se retrouver sans avoir plus rien à faire, alors que quand on ne fait rien… eh bien, il en reste toujours plein ! Et quand il aménage un coin à pensée, il doit se résoudre à y coller une affiche « En panne », après avoir tenté en vain l’exercice de l’introspection.

Les autres personnages sont à l’avenant. Tigrou cherche à réaliser un triple saut périlleux mais échoue lamentablement à retomber sur ses pattes. Il se demande alors pourquoi une grande star comme lui n’a pas de doublure. Quand il croise Coco Lapin, il bondit sans prévenir… pour le saluer. Maître Hibou ne cesse de discourir, sans jamais s’apercevoir que son public n’en demande pas tant. Porcinet, de son côté, improvise un remake de Chantons sous la pluie (1952), songeant : « Dommage que j’aie manqué la grande époque des comédies musicales ! » Les uns regrettent que « même la Forêt des Rêves bleus n’échappe pas à la pression du monde moderne », tandis que les autres se disputent une place assise dans une vaste étendue désertique entièrement vide.

Plus substantiel qu’il n’y paraît

La simplicité apparente des histoires de Winnie l’Ourson cache souvent des leçons de vie plus ou moins profondes, accessibles aux enfants mais non moins pertinentes pour les adultes. Avec le recul, et probablement en raison de certaines représentations publicitaires et/ou télévisuelles, il peut être tentant de réduire cet univers à sa dimension la plus puérile et « régressive ». Pourtant, et cette anthologie en témoigne amplement, le personnage créé par Alan Alexander Milne bénéficie d’une écriture soignée, d’une vraie science du comique et d’un sens de l’absurde souvent éloquent. Tantôt c’est un crayon reçu dans un colis avec un mode d’emploi, tantôt c’est une critique à l’emporte-pièce sur un appareil technologique dont on ne sait faire correctement usage.

Ce recueil nous offre l’opportunité de redécouvrir un personnage intemporel qui, à travers les décennies, n’a rien perdu de son charme. C’est avec nostalgie et émerveillement que nous (re)plongeons dans ces histoires courtes, légères et rythmées, rendant hommage à l’ourson le plus célèbre de la littérature enfantine.

J.F.


Winnie l’Ourson : Anthologie, collectif – Glénat, novembre 2023, 352 pages

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