Matthew Perry, une autobiographie à la résonance particulière

Friends, mes amours et cette chose terrible paraît en format poche aux éditions J’ai lu. Célèbre pour son interprétation de Chandler Bing dans la sitcom générationnelle Friends, Matthew Perry, disparu le 28 octobre dernier, y revient sur son enfance, sa carrière, ses succès et ses nombreux problèmes de polytoxicomanie. Avec une transparence souvent glaçante.

Toute pièce a son revers. Comme Michael J. Fox avant lui, Matthew Perry a trusté simultanément les premières places des classements d’audience télévisuelle (pour Friends) et cinématographique (avec Mon voisin le tueur). Dans les dernières saisons de la sitcom créée par Marta Kauffman et David Crane, il émargeait à plus d’un million de dollars par épisode – David Schwimmer avait proposé, à dessein, que les six principaux comédiens de la série négocient collectivement leur cachet. Mais l’acteur américano-canadien, qui a épousé Salma Hayek à l’écran et fréquenté Julia Roberts dans la vraie vie, se caractérisait aussi par une part plus sombre, constituée de douleur et de solitude, narrée par le menu dans Friends, mes amours et cette chose terrible. 

En chiffres, c’est au mieux accablant : plus de quinze cures de désintoxication, quelque 6000 réunions des alcooliques anonymes, environ sept millions de dollars dépensés en soins et thérapies. Lucide quant à son état pathologique, Matthew Perry confesse sans fard sa maladie, et il ne cache rien des épreuves traversées : le côlon qui éclate à cause des opioïdes, le laissant plusieurs semaines comateux, au seuil de la mort ; les 55 comprimés de Vicodin qu’il ingurgitait chaque jour ; son alcoolisme précoce, avec pour modèle son père, comédien et archétype de l’alcoolique fonctionnel capable de se lever frais comme un gardon après une soirée bien arrosée ; les armoires à pharmacie qu’il purgeait chez des tiers, en parallèle des réseaux de fournisseurs auprès desquels il obtenait l’essentiel de ses drogues ; ses addictions aux barbituriques, auxquels il a été initié pendant ses premières années, recevant du phénobarbital pour apaiser ses coliques…

Si quelques redites en ankylosent parfois la lecture, cette autobiographie comporte certaines descriptions que l’on aurait pu retrouver chez les écrivains de la Beatnik Generation. Quand Matthew Perry fait état de l’assuétude et ses contrecoups, il n’y va jamais avec le dos de la cuillère. Les paradis artificiels, les dysfonctionnements qu’ils occasionnent, les manques qu’ils causent sont froidement mis à nu. Le comédien traîne un fardeau qu’il effeuille peu à peu et se bat contre un cerveau malade qui cherche à le détruire au moindre prétexte : désœuvrement, incertitude, mélancolie… Matthew Perry lui tend à l’occasion le bâton avec lequel se faire battre : un sentiment d’abandon né d’une famille déchirée au sein de laquelle il n’a jamais véritablement trouvé sa place et une sensation d’incomplétude, comme s’il ne se suffisait jamais à lui-même – raison pour laquelle il adoptait, un peu à la manière de Chandler, l’humour comme mécanisme de défense.

Sa mère, Suzanne Langford, a été miss avant de devenir l’attachée de presse de Pierre Trudeau, alors Premier ministre du Canada. Elle s’est mariée à son père John, chanteur de folk ayant percé dans la publicité comme comédien. Leur séparation rapide signifie pour Matthew une vie dans l’Ontario, dans une famille recomposée, alors que son père fait carrière en Californie, à des milliers de kilomètres de là. Durant son enfance, le jeune Perry préfère le tennis aux études. Il a même songé à embrasser une carrière professionnelle, avant de découvrir sur les courts américains un niveau bien supérieur à celui du circuit canadien. Mais c’est avec Friends qu’il va connaître la célébrité. Il a pourtant failli manquer l’opportunité de rejoindre l’incontournable bande d’amis. Si tout le monde avait pleinement conscience que son profil collait parfaitement au personnage de Chandler Bing (au point que beaucoup de comédiens castés lui demandaient des conseils avant leurs essais), Matthew Perry était quant à lui contractuellement empêché car engagé sur l’insignifiante LAX 2194… en tant que bagagiste d’extraterrestres ! Il ne rejoint la série de NBC qu’à force d’insistance et au tout dernier moment. 

Friends, mes amours et cette chose terrible n’est évidemment pas sans nostalgie vis-à-vis des années Friends. Matthew Perry se souvient de l’esprit de camaraderie qui régnait sur le plateau, de l’émulation créative, de son béguin pour Jennifer Aniston, de cette célébrité aussi soudaine qu’enivrante. On pourrait arguer qu’il possédait alors tout pour être heureux, mais le fait est qu’il aurait tout abandonné pour un peu de quiétude et une santé recouvrée. Car la gloire et l’argent ne soignent que les apparences. Aussi, durant les dix saisons de Friends, Matthew Perry a été sous l’emprise de psychotropes neuf années. Cela a bien entendu occasionné des discussions sur le plateau, beaucoup de désagréments, quelques reproches, mais le comédien a toujours bénéficié du soutien de ses collègues et acolytes – Jennifer Aniston et Courteney Cox ont par exemple demandé l’installation d’un vélo elliptique dans les coulisses pour l’aider à dégriser.

S’il ne fallait retenir qu’une chose de cette autobiographie, ce serait probablement la suivante : maître du double take, réinventeur du parler américain, Chandler Bing était la façade affable et populaire d’un homme tourmenté et malade, ayant longtemps espéré, en vain, que la célébrité règlerait comme par magie ses problèmes existentiels et toxicomaniaques. Derrière le sarcastique jeune cadre new-yorkais se cachait un comédien aux écarts de poids pathologiques, mal dans sa peau, contraint de commenter publiquement la mort par overdose de son collègue Chris Farley, avec qui il partageait l’affiche de la comédie Almost Heroes en 1998, alors qu’il était lui-même dépendant d’à peu près tout ce qui pouvait l’extirper du réel – à l’exception notable de l’héroïne, qui l’a toujours effrayé.

Ce témoignage, touchant et sincère, apparaît aujourd’hui comme une sommation posthume. Et ça le rend d’autant plus déchirant.

J.F.


Friends, mes amours et cette chose terrible, Matthew Perry –

J’ai lu, novembre 2023, 384 pages

Comments

Une réponse à « Matthew Perry, une autobiographie à la résonance particulière »

  1. Avatar de Friends : Chandler et Joey, une bromance devenue mythique   – RadiKult'

    […] les relations les plus emblématiques de la série Friends, celle entre Chandler Bing (Matthew Perry) et Joey Tribbiani (Matt LeBlanc) est à marquer d’une pierre blanche. Profonde, complexe, […]

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